(Dessin réalisé au primaire)

Les charleries

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Ce blogue contient des souvenirs, des anecdotes, des opinions, de la fiction, des bribes d’histoire, des récréations et des documents d’archives.

Charles-É. Jean

Contes

# 6900              12 mai 2023

Une punition en bois

Ce conte a été rédigé entièrement par le robot ChatGPT. Aucune modification n’a été apportée. Les seules instructions données au robot le sont par les propos écrits de l’humain CEJ.

 

CEJ. Écrire un conte sans conclusion. Dans un pays astral, la punition des malfrats, c’est d’être transformés en arbre pendant un certain temps. Après ce temps, chacun ne peut être délivré que par un oiseau. Éric s’est fait prendre à une introduction par effraction.

 

ChatGPT. Il était une fois, dans un pays astral où la justice était rendue de manière unique, les malfrats étaient transformés en arbre pour une période déterminée. Cette punition était réputée pour être très efficace et dissuasive, car personne ne voulait risquer d’être transformé en arbre.

 

Cependant, un jour, un jeune homme nommé Éric s’est fait prendre à une introduction par effraction. Il avait tenté de voler des objets précieux dans une maison. Les gardes de la ville l’ont arrêté et ont décidé de lui infliger la punition habituelle.

 

Éric a été transformé en un grand arbre majestueux au milieu de la ville. Les gens passaient devant lui tous les jours, le regardant avec mépris et dégoût. Éric ne pouvait rien faire pour se libérer, il était condamné à rester sous forme d’arbre pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’un oiseau vienne le délivrer.

 

Les jours passèrent et les saisons changèrent. Éric était toujours là, observant le monde qui l’entourait. Il voyait les gens vivre leur vie, les enfants grandir et les événements de la ville se dérouler sous ses branches. Il était là depuis si longtemps qu’il avait fini par oublier combien de temps il était resté sous cette forme.

 

Cependant, aucun oiseau n’était venu pour le délivrer. Éric commençait à perdre espoir et à se demander s’il resterait pour toujours sous forme d’arbre. Mais il ne perdait pas espoir, car il savait qu’un jour, l’oiseau viendrait.

 

Le temps passa encore, les années passèrent, mais toujours pas d’oiseau. Éric avait commencé à se demander s’il avait été oublié ou si l’oiseau ne viendrait jamais. Pourtant, il ne pouvait pas abandonner l’espoir, il ne pouvait pas abandonner l’idée que quelqu’un viendrait le délivrer.

 

CEJ. Continuez sans conclusion.

 

ChatGPT. La vie dans la ville continue comme d’habitude, avec les gens qui passent devant Éric sans vraiment le remarquer. Les enfants jouent autour de lui et les adultes vaquent à leurs occupations, sans se soucier de la présence de l’arbre.

 

Pourtant, Éric est toujours là, attendant. Il regarde le ciel, espérant voir un oiseau venir le délivrer. Il se demande combien de temps il a déjà passé sous cette forme et combien de temps il lui reste à supporter cette punition.

 

Parfois, Éric se souvient de sa vie avant d’être transformé en arbre. Il se souvient de sa famille et de ses amis, de sa maison et de son travail. Il se demande s’ils pensent à lui et s’ils savent ce qui lui est arrivé.

 

Mais la plupart du temps, Éric essaie de rester concentré sur le moment présent. Il regarde les nuages passer dans le ciel et observe les oiseaux voler. Il écoute le bruit des gens qui passent et le vent qui souffle à travers ses branches.

 

Il se dit que, peut-être, c’est cela la leçon de sa punition. Apprendre à vivre dans le moment présent, à apprécier les petites choses de la vie et à être reconnaissant pour chaque jour qui passe.

 

CEJ. Continuez. Un corbeau tente de délivrer Éric mais il n’est pas autorisé.

 

ChatGPT. Un jour, un corbeau survola la ville et repéra Éric. Le corbeau était un oiseau intelligent et courageux, et il avait entendu parler de la punition des malfrats transformés en arbre. Il avait également entendu dire que certains oiseaux pouvaient délivrer les condamnés de leur sort.

 

Le corbeau décida de venir en aide à Éric. Il se posa sur une branche proche de l’arbre et commença à picorer l’écorce. Il essaya de briser la magie qui avait transformé Éric en arbre.

 

Mais le corbeau avait été repéré par les gardes de la ville, qui l’avaient rapidement capturé. Les gardes étaient méfiants envers les oiseaux qui tentaient de libérer les malfrats, car ils craignaient que cela ne conduise à une augmentation des crimes.

 

Le corbeau fut jugé pour sa tentative de libérer Éric et fut également condamné à une punition. Il fut transformé en pierre et placé sur la place publique en tant que monument à la justice.

 

Éric, qui avait assisté à la scène, se sentit triste pour le corbeau. Il avait été courageux et avait risqué sa vie pour le libérer, mais en vain. Il se demanda s’il resterait pour toujours sous forme d’arbre et si personne ne viendrait jamais le délivrer.

 

La ville continua de vivre sa vie, mais Éric resta là, dans l’attente. Il observe les gens passer et les saisons changer. Il se demanda si un jour, quelqu’un viendrait le délivrer ou s’il était condamné à rester sous cette forme pour toujours.

 

CEJ. Continuez sans conclure. Un enfant de 7 ans s’assoit sur la pierre.

 

ChatGPT. Un jour, alors que les gens de la ville vaquaient à leurs occupations habituelles, un petit garçon de sept ans s’assit sur la pierre qui avait autrefois été le corbeau. Il avait l’air perdu et solitaire, et il fixait Éric avec un regard curieux.

 

Éric était surpris de voir un enfant s’approcher de lui. Les enfants avaient tendance à jouer autour de lui, mais ils n’osaient pas s’asseoir sur la pierre qui avait été le corbeau. Éric regarda le petit garçon avec intérêt, se demandant ce qui l’amenait ici.

 

Le petit garçon regarda Éric avec fascination, se demandant comment un arbre pouvait être vivant. Il tendit la main pour toucher l’écorce de l’arbre, mais il recula rapidement, surpris par la sensation froide et dure de la pierre.

 

Éric se mit à bouger doucement ses branches, comme s’il essayait de rassurer le petit garçon. Il se dit que peut-être, le petit garçon pourrait être la clé pour sa délivrance. Peut-être qu’il pourrait convaincre quelqu’un de venir le délivrer.

 

Mais le petit garçon était trop jeune pour comprendre les implications de la situation d’Éric. Il se contenta de regarder Éric avec curiosité et de parler à l’arbre comme s’il était un ami.

 

Le temps passa, et le petit garçon finit par se lever et partir. Éric resta là, immobile, attendant toujours sa délivrance. Il se dit que peut-être, un jour, le petit garçon reviendrait et qu’il pourrait le convaincre de trouver quelqu’un pour le libérer.

 

CEJ. Continuez sans conclure. Le petit garçon revint avec un petit couteau. Il découpa un oiseau dans l’écorce de l’arbre.

 

ChatGPT. Le petit garçon revint sur la pierre où Éric était toujours transformé en arbre. Il avait cette fois-ci un petit couteau avec lui. Il s’approcha de l’arbre et commença à découper quelque chose dans l’écorce. Éric se mit à trembler doucement, espérant que le petit garçon ne lui faisait pas de mal.

 

Le petit garçon avait l’air concentré et sérieux alors qu’il découpait soigneusement quelque chose dans l’écorce de l’arbre. Éric regarda avec curiosité, se demandant ce qu’il était en train de faire.

 

Finalement, le petit garçon se redressa, tenant dans sa main un petit oiseau découpé dans l’écorce de l’arbre. Éric fut surpris de voir que le petit garçon avait réussi à faire une telle sculpture. Il se mit à bouger doucement ses branches, comme s’il applaudissait l’effort du petit garçon.

 

Le petit garçon tendit l’oiseau de bois à Éric, en souriant fièrement. Il ne savait peut-être pas que cette sculpture représentait la clé pour délivrer Éric, mais il avait réussi à créer quelque chose de beau à partir de l’arbre.

 

Le temps passa, et le petit garçon finit par repartir, laissant Éric avec l’oiseau en bois. Éric resta là, immobile, mais avec un nouvel espoir. Peut-être que cette sculpture serait la clé pour sa délivrance. Peut-être qu’elle attirerait l’attention de quelqu’un qui pourrait le délivrer.

 

CEJ. Continuez et conclure. Le petit oiseau délivre Éric.

 

ChatGPT. Le temps avait passé et Éric avait presque perdu espoir d’être délivré. Il se rappelait souvent du petit garçon qui avait sculpté l’oiseau dans son écorce et espérait qu’un jour, cet oiseau serait la clé de sa délivrance.

 

Un jour, un petit oiseau se posa sur l’oiseau en bois que tenait Éric. Éric fut surpris de voir l’oiseau s’intéresser à cette sculpture. L’oiseau commença à tourner autour de l’oiseau en bois, comme s’il cherchait quelque chose.

 

Soudain, l’oiseau commença à piquer le petit oiseau en bois avec son bec. Éric se mit à trembler de peur, se demandant ce que faisait cet oiseau. Mais bientôt, il réalisa que l’oiseau essayait de retirer quelque chose de l’oiseau en bois.

 

Finalement, l’oiseau réussit à retirer une petite clé en bois de l’oiseau sculpté. Éric fut surpris de voir cette clé, il ne l’avait jamais remarquée auparavant. Il comprit alors que cette clé était la clé de sa délivrance.

 

Éric se mit à bouger doucement ses branches, appelant l’oiseau. L’oiseau s’envola et Éric comprit qu’il devait le suivre. Il se mit à bouger plus énergiquement, sentant que sa libération était proche.

 

Finalement, Éric arriva à un endroit où une petite fille était en train de jouer. L’oiseau se posa sur l’épaule de la petite fille et Éric comprit alors que cet enfant était la personne qui allait le libérer.

 

La petite fille vit Éric et la clé en bois qu’il portait. Elle comprit immédiatement ce qu’elle devait faire. Elle prit la clé et la glissa dans la serrure qui était incrustée dans l’écorce de l’arbre. La serrure s’ouvrit avec un petit déclic et Éric se mit à bouger doucement.

 

Finalement, Éric fut délivré de sa forme d’arbre. Il se mit à bouger plus énergiquement, sentant le sang couler de nouveau dans ses veines. Il se mit à sourire, sachant que la petite fille avait été la clé de sa délivrance.

 

Et ainsi, l’histoire se conclut avec la libération d’Éric. Il avait attendu longtemps, mais finalement, il avait été délivré grâce à la persévérance et l’ingéniosité de la petite fille et de l’oiseau en bois sculpté.

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# 6885              3 mai 2023

La pierre magique

Ce conte a été rédigé entièrement par le robot ChatGPT. Aucune modification n’a été apportée. Les seules instructions données au robot le sont par les propos écrits de l’humain CEJ.

 

CEJ. Rédigez le début d’un conte. Mathieu, jeune notaire, s’installe dans une petite paroisse. Lors d’une réunion d’accueil, il remarque une jeune fille du nom de Louise.

 

ChatGPT. Il était une fois, dans une petite paroisse nichée au cœur d’une vallée verdoyante, un jeune notaire du nom de Mathieu. Il avait tout juste terminé ses études et avait décidé de s’installer dans ce petit village pour exercer son métier. Le village était paisible et les habitants accueillants, mais Mathieu se sentait un peu seul dans sa nouvelle vie. C’est lors d’une réunion d’accueil organisée par les villageois pour le présenter à la communauté qu’il remarqua une jeune fille du nom de Louise.

 

Elle était assise à une table, entourée de quelques amis, mais elle semblait différente des autres personnes présentes. Son regard était vif et son sourire illuminait le visage de Mathieu. Il ne pouvait détacher ses yeux d’elle. Malgré sa timidité, il se décida à aller lui parler. Ils échangèrent quelques mots et Mathieu fut immédiatement charmé par sa douceur et sa simplicité.

 

Le lendemain, Mathieu ne pouvait s’empêcher de penser à Louise. Il se demandait si elle avait ressenti la même chose que lui lors de leur rencontre. Il décida de la revoir et se rendit dans le parc où il l’avait aperçue la veille. Elle était là, assise sur un banc, lisant un livre. Elle leva les yeux et sourit en le voyant. Mathieu s’approcha et s’assit à côté d’elle. Ils discutèrent pendant des heures, échangeant sur leur vie, leurs passions et leurs rêves les plus fous.

 

Au fil des semaines, Mathieu et Louise se retrouvèrent régulièrement, partageant des moments simples mais intenses. Mathieu découvrit une nouvelle passion pour les livres, grâce à la passion de Louise pour la lecture. Louise, quant à elle, fut émerveillée par l’intelligence et la bienveillance de Mathieu. Leur relation était devenue forte et complice. Mais un jour, quelque chose de mystérieux se produisit dans la petite paroisse, bouleversant leur vie à jamais...

 

CEJ. Continuer sans conclure.

 

ChatGPT. Une nuit, une étrange fumée violette se mit à s’échapper de l’église du village. Les habitants furent réveillés par des bruits étranges, des cris et des pleurs. Mathieu et Louise se précipitèrent vers l’église pour voir ce qui se passait. À leur grande surprise, ils découvrirent une porte secrète cachée derrière l’autel, qui n’avait jamais été remarquée auparavant. La porte était grande ouverte et la fumée violette s’échappait de l’intérieur.

 

Mathieu et Louise, intrigués, décidèrent de s’aventurer à l’intérieur de la porte. Ils découvrirent alors une pièce cachée, qui avait l’air d’avoir été abandonnée depuis des siècles. Des étagères remplies de livres poussiéreux et des objets étranges jonchaient le sol. C’est alors que Louise mit la main sur un vieux grimoire en cuir, orné d’un pentagramme en or.

 

Sans réfléchir, elle ouvrit le livre et commença à lire les premières pages. Mathieu la regardait, intrigué. Tout à coup, une force mystérieuse s’empara de Louise, la faisant flotter dans les airs. Mathieu tenta de la retenir, mais il fut repoussé par une énergie invisible. Louise commença à parler dans une langue étrange, qui semblait appeler une force sombre et inconnue.

 

Mathieu, effrayé, tenta de sortir de la pièce, mais la porte se referma brusquement derrière lui. Il était enfermé avec Louise et cette force mystérieuse. Que se passerait-il ? Pourrait-il sauver Louise ? Tout était incertain, mais il savait qu’il ne pouvait pas abandonner son amour pour elle.

 

CEJ. Continuer sans conclure.

 

ChatGPT. Mathieu observait Louise, impuissante. Elle continuait de parler dans cette langue inconnue, les yeux fermés, les mains tremblantes. La fumée violette s’épaississait et semblait envahir l’espace. Mathieu ne savait pas quoi faire, mais il ne pouvait pas abandonner Louise. Il se rapprocha d’elle et tenta de la toucher. Soudain, une force invisible le projeta en arrière. Il tomba lourdement sur le sol, étourdi.

 

Lorsqu’il rouvrit les yeux, Mathieu se rendit compte que quelque chose avait changé. La pièce était plongée dans une semi-obscurité et la fumée avait disparu. Louise était assise sur le sol, les yeux ouverts, mais elle semblait différente. Son regard était sombre et vide, et sa voix avait changé. Elle parlait toujours dans cette langue inconnue, mais il pouvait sentir une menace dans sa voix.

 

Mathieu se leva, prêt à tout pour aider Louise. Il se mit à chercher des indices dans la pièce, à la recherche de quelque chose qui pourrait les aider à sortir de là. C’est alors qu’il aperçut un petit coffre en bois, caché derrière une étagère. Il l’ouvrit et découvrit une pierre précieuse étincelante, qui semblait avoir un pouvoir mystique.

 

Mathieu prit la pierre entre ses mains et la regarda fixement. Il sentit une énergie nouvelle le traverser, une énergie qui lui donnait la force de se battre contre cette force mystérieuse. Il se tourna vers Louise et lui tendit la pierre. Elle la prit dans sa main et sembla se calmer un instant. Puis, elle se mit à parler dans une langue différente, une langue qu’elle connaissait.

 

Mathieu comprit que la pierre avait un pouvoir de guérison, qu’elle pouvait libérer Louise de cette force sombre qui la possédait. Il se mit à réciter des formules magiques, aidé par la pierre, et peu à peu, Louise sembla reprendre conscience. Elle ouvrit les yeux et regarda Mathieu, comme si elle ne se souvenait de rien.

 

Ils sortirent de la pièce, main dans la main, et se regardèrent longuement. Ils avaient vécu une expérience mystique, qui avait renforcé leur amour. Mathieu comprit qu’il était prêt à tout pour protéger Louise, même face à l’inconnu.

 

CEJ. Continuer sans conclure. Le curé les accuse de sorcellerie.

 

ChatGPT. Mathieu et Louise rentrèrent chez eux, encore bouleversés par ce qu’ils venaient de vivre. Ils étaient heureux d’être ensemble et de se sentir en sécurité, mais ils étaient loin de se douter que leur aventure n’était pas terminée.

 

Le lendemain, le curé de la paroisse les convoqua dans son bureau. Ils s’y rendirent, pensant qu’il voulait simplement discuter avec eux de l’événement de la nuit précédente. Mais à leur grande surprise, le curé les accueillit avec un air sévère.

 

« Il semblerait que vous soyez impliqués dans une affaire de sorcellerie », lança-t-il d’un ton accusateur.

 

Mathieu et Louise étaient abasourdis. Ils ne comprenaient pas ce qu’il voulait dire. Le curé leur expliqua que certains habitants du village avaient rapporté avoir vu des phénomènes étranges la nuit dernière, des bruits, des lumières et de la fumée violette. Ils étaient persuadés que Mathieu et Louise avaient invoqué des forces démoniaques et qu’ils étaient des sorciers.

 

Mathieu et Louise tentèrent de se défendre, mais le curé était inflexible. Il leur ordonna de quitter la paroisse immédiatement, sous peine de représailles. Ils étaient désespérés. Comment pouvaient-ils prouver leur innocence ? Personne ne les croirait.

 

Ils décidèrent de quitter le village, pour éviter les ennuis. Mais ils n’avaient pas le cœur à quitter leur maison et leur vie. Ils se sentaient trahis, accusés à tort. Ils étaient en colère contre le curé et contre tous ceux qui les avaient condamnés sans preuve.

 

Ils décidèrent de mener leur propre enquête, pour découvrir ce qui se cachait derrière cette affaire de sorcellerie. Ils avaient l’impression que quelque chose de plus grand était en jeu, quelque chose qui les dépassait. Ils ne savaient pas où cela les mènerait, mais ils étaient prêts à tout pour prouver leur innocence et rétablir leur réputation.

 

CEJ. Continuer et conclure.

 

ChatGPT. Mathieu et Louise commencèrent leur enquête, en cherchant à comprendre ce qui s’était passé la nuit de l’incident. Ils interrogèrent les habitants du village, et découvrirent que plusieurs personnes avaient été témoins de phénomènes étranges, mais que personne ne savait vraiment ce qui s’était passé.

 

Ils décidèrent de retourner dans la pièce où ils avaient vécu leur expérience mystique, pour tenter de trouver des indices. Là, ils découvrirent des inscriptions mystérieuses sur les murs, qui semblaient être des formules magiques. Ils réussirent à les déchiffrer grâce à la pierre précieuse qu’ils avaient trouvée, et compris qu’il s’agissait d’un sortilège ancien, utilisé pour invoquer des forces mystiques.

 

Ils réalisèrent alors que la pierre était en réalité une pierre magique, qui avait le pouvoir de contrôler les forces mystiques. Ils comprirent que c’était cette pierre qui avait attiré les forces sombres la nuit de l’incident, et qu’ils avaient été pris au piège.

 

Ils décidèrent de se rendre chez un vieux sage, qui était connu pour sa connaissance des forces mystiques. Il les écouta attentivement et leur confirma que la pierre était en effet très puissante, mais qu’elle était très dangereuse en même temps. Il leur expliqua que la pierre avait été cachée pendant des siècles, car elle avait le pouvoir de faire basculer le monde dans le chaos si elle tombait entre de mauvaises mains.

 

Mathieu et Louise réalisèrent qu’ils avaient été imprudents, et qu’ils avaient involontairement attiré les forces sombres en utilisant la pierre. Ils décidèrent de la rendre au vieux sage, qui promit de la garder en sécurité.

 

Le vieux sage leur pardonna leur imprudence, et leur donna sa bénédiction. Ils rentrèrent dans leur village, où ils furent accueillis avec soulagement. Les habitants s’excusèrent de les avoir accusés à tort, et leur demandèrent de rester parmi eux.

 

Mathieu et Louise avaient compris la leçon. Ils avaient appris que les forces mystiques étaient réelles, mais qu’il fallait les utiliser avec prudence. Ils avaient également compris que l’amour et la confiance étaient plus forts que les forces sombres. Ils décidèrent de rester dans leur village, où ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours.

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# 6530              27 septembre 2022

Les cousins Bougie

Dans le rang 5 de la paroisse de Saint-Cerfeuil, à la fin du 19e siècle, grand-père Bougie cultive une terre de six arpents de front. Quand vient le temps de prendre sa retraite, il partage sa terre en deux lots de trois arpents qu’il lègue à ses deux fils aînés.

 

Bientôt, chacun des frères auront des enfants. Les deux  aînés de ces familles, Antoine Bougie et Bastien Bougie, retiennent l’attention. Ces deux cousins germains sont du même âge et ont toujours été dans le même degré à l’école qui, incidemment,  est située à la limite des deux lots. En plus, ils s’entendent à merveille.

 

Depuis leur tendre enfance, tous deux ont le béguin pour une jeune fille de leur âge dont le père est cultivateur au bout du rang. Elle s’appelle Marie-Luce. Elle a toujours été dans le même degré qu’eux à l’école. Elle est un peu timide, mais amicale d’approche. Qui devrait-elle choisir entre les cousins Bougie, si elle y était obligée ?

 

« Je vais vous le dire à la condition que vous ne le répétiez pas, dit-elle. Je choisirais Antoine. Il est pas mal viril. Il est habile de ses mains. Son petit côté séducteur finement caché me le rend sympathique. Il est débrouillard, un peu hésitant parfois. C’est le A de mon cœur, comme le A est le premier de l’alphabet. De son côté, Bastien, malgré un brin de folie, a beaucoup d’assurance. Il est plutôt intello. Son petit côté théâtral et un peu extravagant m’agace quelque peu. Il est très persévérant. Même s’il semble comprendre qu’il est mon deuxième choix, il ne bouge pas. Bref, il est comme le B de l’alphabet. Il ne sera jamais le premier. »

 

Lors des tempêtes d’hiver, Marie-Luce doit dîner à l’école. Les deux cousins demandent à leurs mères s’ils peuvent eux aussi y prendre leur repas. C’est une fin brutale de non-recevoir. Les mères consentent toutefois à ce que leurs fils retournent à l’école 15 minutes plus tôt que d’habitude, temps qui tranquillement s’étire. Quand les deux cousins arrivent à l’école, le plaisir s’invite par des bouffonneries qui amusent les plus jeunes. Tout ceci, au grand détriment de l’institutrice qui doit rompre son repas dans sa cuisine et venir surveiller.

 

Au milieu de leur septième année, Antoine et Bastien apprennent que Marie-Luce s’est inscrite au couvent du village pour faire sa huitième année. Ils obtiennent de leurs parents la permission de continuer leur scolarité au village. Il faut dire que les résultats des membres du trio, bon mois mal mois, oscillent entre 85 % et 95 %.

 

Les cousins pensionnent alors chez leur oncle Tancrède, cultivateur au village. On leur a libéré une chambre. C’est dans cet isoloir que, chaque soir, ils font des projets de vie avec Marie-Luce, sans que chacun d’eux ne s’en exaspère. Avant de s’endormir, chacun leur tour, ils disent : « Dans mon lit pour la vie. Dans mon lit pour la vie. Dans mon lit pour la vie. Dans mon lit pour … » Et ils continuent de rêver dans leur sommeil.

 

Les fins de semaine, ils retournent dans leur famille. L’année suivante, ils font leur neuvième année encore au village. Marie-Luce annonce qu’elle s’est inscrite à l’école normale des filles à la ville voisine. Elle veut devenir institutrice. Les cousins Bougie cessent de fréquenter l’école avec, pour l’époque, un prestigieux diplôme en poche de 9e année.

 

Pendant l’été, les cousins s'adonnent aux travaux de la ferme avec leur père. Pendant l’hiver, ils vont bûcher dans les chantiers de la Gaspésie. Chacun de son côté tient alors une correspondance régulière, via la poste, avec Marie-Luce.

 

Les religieuses de l’école Normale qui contrôlent le courrier n’apprécient pas qu’une de leurs filles soit courtisée et, en plus, par deux hommes. Elles savent bien que la jeune fille qui se marie ne peut plus occuper la fonction d’institutrice. Les cousins doivent user de stratagème pour déjouer la surveillance des religieuses.

 

Finalement, après deux ans d’études, Marie-Luce obtient un poste d’enseignante au rang 3 ouest. Elle adore ce métier et ses élèves lui rendent bien, eux qui apprécient sa modernité et sa façon d’expliquer.

 

Trois ans plus tard, en mars, alors que les cousins travaillent fort dans les chantiers, Bastien annonce qu’il commence à ressentir des douleurs dans les genoux. Un soir, il invite son cousin à l’extérieur du camp :

- Je veux te parler, dit Bastien.

- Je sais de quoi, réplique Antoine. Tu veux me dire que tu vas te marier avec Marie-Luce.

- Comment le sais-tu ?

- Seulement à te voir aller. D’ailleurs, tes problèmes de genoux sont factices.

- Marie-Luce a su que tu correspondais avec Henriette en même temps qu’avec elle.

- Par qui, demande Antoine ?

- Par une fille jalouse. Voilà, je voulais te dire que je quitte le camp demain. Je vais acheter la terre du grand Cléophas à Midas. J’ai déjà versé un acompte. Dans un prochain dimanche, je vais faire un mariage clandestin : je me marie à la gaumine.

- C’est quoi ça ? Où as-tu pris cette idée ?

- Dans une revue religieuse de ma mère. La paroisse va vivre un événement historique. Il n’est pas obligatoire de mettre les bans.

- J’aimerais être là.

- Je vais t’envoyer un message codé pour t’avertir.

 

Bastien va voir le contremaître qui accepte son départ. Le lendemain, lever à 4 heures, il se rend à pied à la prochaine station de chemin de fer : 10 milles le pas léger et le cœur à la fête. Arrivé à Saint-Cerfeuil, il commence les préparatifs en mettant au parfum le moins de monde possible. Le mariage est prévu pour le dimanche 14 avril.

 

C’est un dimanche comme un autre pour la paroisse, mais pour le couple Bastien et Marie-Luce, c’est le jour des jours. La messe débute. Il règne une atmosphère de jamais-vu dans l’église. Y a-t-il eu des indiscrétions ? Le curé qui est à la charge de cette paroisse depuis 12 ans commence son sermon. Il semble plus suspicieux que d’habitude. Les nombreuses allées et venues de Bastien dans la paroisse ont-elles déclenchées des rumeurs ? Vers la fin de son sermon, le curé repère Antoine dans un recoin sombre du jubé. Oups ! En descendant l’escalier de la chaire, il croise le regard du premier marguillier, monsieur Trudel. Ce dernier baisse la vue. Oups !

 

Le curé se rend à l’autel et commence à réciter le credo, dos à l’assemblée comme la liturgie le veut. Le premier marguillier informe discrètement les deux autres qu’ils doivent quitter leur banc. Sur la pointe des pieds, Bastien et Marie-Luce accompagnés de leur paternel viennent s’installer dans le banc d’œuvre. Les quatre ont revêtu leurs plus beaux habits du dimanche, avec en plus une grosse rose en papier.

 

Pendant que le prêtre marmonne sa longue prière, Bastien d’une voix énergique surprend tout le monde :

 

« Moi, Bastien Bougie, je veux prendre pour épouse Marie-Luce Courtois pour l’aimer fidèlement dans le bonheur et dans les épreuves tout au long de notre vie.

 

Moi, Marie-Luce Courtois, je veux prendre pour époux Bastien Bougie pour l’aimer fidèlement dans le bonheur et dans les épreuves tout au long de notre vie. »

 

Le curé se retourne, la figure transformée par la rage, et lance : « Ce n’est pas un mariage. » La messe se poursuit dans les vapeurs de surprise et de crainte. La paroisse de Saint-Cerfeuil vient de vivre un événement unique. Mais ce mariage est-il valide ? Pour les nouveaux époux, c’est clair que oui. Pour le curé, c’est clair que non.

 

À la fin de la messe, le curé se tourne vers l’assistance. « Une réunion des marguilliers a lieu immédiatement à la sacristie. » Le premier marguillier est repentant. Il avoue avoir accepté de prêter le banc d’œuvre et d’avoir entraîné les deux autres. « Malheur à vous, monsieur Trudel. Vous avez laissé profaner ce banc qui représente l’autorité en cette paroisse. Vous n’êtes plus digne de cette fonction. Je vous demande votre démission sur-le-champ. »

 

Après la messe, un cortège de voitures à cheval part de l’église et se rend chez les parents de la mariée en passant devant les domiciles des Bougie.  Le long du chemin, les mariés sont acclamés. La journée de festivités se termine par une soirée avec musique et danse … jusque tard dans la nuit. Antoine est là avec Henriette. Il est très heureux pour Bastien et Marie-Luce.

 

Depuis sa colère devant les marguilliers, le curé ne cesse d’être survolté. Il réfléchit à la suite des choses. Tous les cas antérieurs de mariage à la gaumine qu’il connaît ont fini par une réhabilitation étant donné que toutes les conditions d’un mariage valide avaient été respectées : cérémonie publique dans l’église, présence d’un prêtre, consentements mutuels, présence de témoins. Le curé ne veut pas perdre la face devant ses fidèles. Aussi, il décolère doucement. D’ailleurs, son évêque n’hésite pas à lui signifier qu’il est de son devoir de régler le problème et le plus rapidement possible.

 

La vie reprend son cours normal. Dès le lendemain du mariage, les nouveaux époux emménagent dans leur nouvelle maison faiblement meublée. Heureusement, chaque jour ou presque, un cadeau de noces leur est apporté. Qui un poêlon, qui un ber, qui une chaise droite artisanale, qui des ustensiles, etc.

 

Dans les jours qui suivent, le curé fait venir les deux époux. Bastien lui suggère d’inscrire le mariage dans les registres paroissiaux. C’est non. Aucun terrain d’entente n’est en vue.

 

Bientôt, la mariée est enceinte. Lors de sa visite paroissiale, le curé leur rappelle que leur enfant sera illégitime. « Dès la naissance, ajoute-t-il, les religieuses du Grand Secours viendront le chercher pour le donner en adoption. Si vous vous y opposez, elles seront accompagnées du juge de paix et de d’autres notables de la paroisse. »

 

Un peu plus tard, une rencontre est prévue avec le curé. « Avec la bénédiction de l’évêque, je suis prêt, dit-il, à contourner l’obligation des trois bans. Toutefois, je reprends les consentements mutuels comme s’ils n’avaient jamais existé. » Bastien commence à se rendre compte qu’il ne peut pas gagner sur toute la ligne. Il accepte la proposition du curé à la condition que cela se fasse dans le plus grand secret.

 

C’est ainsi que le dimanche suivant, après la messe, quand tout le monde a quitté, les mariés et les témoins s’installent dans le banc des marguilliers. Le bedeau ferme la porte de l’église à clef et demeure à l’extérieur. Le curé demande le consentement mutuel aux mariés et inscrit l’acte de mariage aux registres paroissiaux.

 

Cent ans plus tard, peu de paroissiens de Saint-Cerfeuil savent que le mariage Bougie a été réhabilité. Il croit que le premier mariage était valide.

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# 6490                3 septembre 2022
Une paroisse viciée
En 1881, Alphonse Beauchamp qui est cultivateur achète un lot au quatrième rang de Sainte-Grenouille. Il y déménage avec sa femme et ses trois enfants.

Vingt-deux ans plus tard, 85 cultivateurs ont élu domicile au quatrième, cinquième et sixième rang. La plupart sont des jeunes hommes qui viennent de prendre femme et qui veulent y élever une famille. Devant ce succès de colonisation, les trois-quarts des cultivateurs demandent à l’évêque de Rimouski la permission de construire une chapelle. À la surprise générale, ce dernier leur répond qu’il leur donne l’autorisation d’ériger une grange-étable. La grange devrait servir à entreposer la dîme des paroissiens et l’étable, quelques animaux de subsistance pour un éventuel curé.

 

Alphonse Beauchamp convoque tous les chefs de famille chez lui un bon dimanche. La réunion se fait dans le fenil. À la majorité, il est décidé de construire une grange-étable moyennant une cotisation et quand cela sera fait de demander un curé. Quelques mois plus tard, l’évêque décrète que le quatrième, cinquième et sixième rang de Sainte-Grenouille forment une nouvelle paroisse et la dénomme Sainte-Démone. Les paroissiens sont atterrés par le nom, mais n’osent pas réagir.

 

Le curé de la paroisse voisine est nommé desservant. Bientôt une chapelle émerge sur une colline entourée de végétation. Le desservant vient faire les cérémonies religieuses comme les baptêmes, les mariages et les sépultures dans ce nouvel édifice. En autant que possible, il vient chanter une messe un dimanche par mois. En février, il leur annonce une nouvelle réjouissante. Un nouveau curé sera nommé à l’automne.

 

Alphonse Beauchamp convoque à nouveau ses coparoissiens. Bientôt, un presbytère commence à être bâti tout près de la chapelle.

 

Le 12 septembre, un jeune homme en soutane apparaît dans une voiture à cheval. Il n’est ni trop grand, ni trop petit, ni trop beau, ni trop triste. Il a 26 ans. Il vient de quitter le Grand Séminaire. Il apprécie les arches de feuillus, les haies de cèdre, les banderoles et les drapeaux qui lui souhaitent la bienvenue.

 

Dès son pied à terre, le bedeau lui annonce que le presbytère n’est pas terminé et qu’il devra en attendant s’installer dans la sacristie. Il est fort déçu. Il se demande si cela est de mise de vivre avec une servante dans une sacristie, un édifice sacré. Il consulte le père Beauchamp à ce sujet. Celui-ci lui dit : « Un mois, c’est vite passé. On aura le temps de terminer les travaux. Vous pourrez en profiter pour vous trouver une servante. Hé oui, j’y pense. La jeune Hermine, 21 ans, pourrait très bien vous rendre ces services. »

 

Ce nouveau curé s’appelle Maurice Despins. Dans sa vie antérieure, il était fils unique. Au Séminaire, il a été chouchouté par les prêtres. Il se demande bien pourquoi l’évêque l’a nommé si jeune à la cure d’une nouvelle paroisse où un très mince sillon de gestion a été tracé.

 

Bien vite, il commence à s’ennuyer. Il lit et relit les quelques livres religieux qu’il a apportés. Il voudrait s’abonner à un journal, mais le père Beauchamp lui déconseille, prétextant qu’il n’est pas de mise pour un prêtre de faire des lectures profanes. Il trouve l’idée farfelue, mais il ne connaît pas d’argument pour la réfuter.

 

Bientôt c’est l’entrée dans le nouveau presbytère. Au bout de quelques semaines, il reçoit une visite surprenante. Une jeune veuve de 23 ans du nom de Candide qui vit seule vient lui demander s’il peut être son confesseur privé. Il accepte avec plaisir. Les premières rencontres se font à son bureau. Par la suite, de temps à autre, il se rend à son domicile qui est à deux kilomètres de la chapelle. Pour cela, il emprunte le cheval et la voiture du père Beauchamp qui l’assure de sa collaboration entière.

 

Le bedeau n’est nul autre que le fils du père Beauchamp. Il s’appelle Berthier et est âgé de 22 ans. Il admire son père de façon démesurée. Avec plaisir, il lui obéit au doigt et à l’œil. Une petite indiscrétion. Il a par le passé fait des avances de mariage à la jeune Hermine, la servante, qui l’aime d’un amour fou et … qui attend.

 

Sournoisement, le bedeau apprend aux jeunes veuves de la paroisse qu’elles pourraient, elles aussi, recevoir le curé à leur domicile.

 

Après quelques mois, des rumeurs circulent que le curé a des relations intimes avec de jeunes veuves. Ce qui vient donner un semblant d’authenticité à la rumeur, c’est que la veuve du nom de Candide est enceinte. Inutile de dire que l’évêché est rapidement renseigné au sujet de ces rumeurs.

 

Le jeune curé est estomaqué. Lui, il sait qu’il n’a jamais eu de relations intimes avec des femmes de la paroisse. Il ne peut que se blâmer pour son imprudence à les fréquenter chez elles et à vouloir les sauver. Après deux ans à la cure de la paroisse de Sainte-Démone, le prêtre est rappelé. N’étant pas d’accord avec l’évêque, plusieurs paroissiens reprochent à ce dernier d’avoir cru aux rumeurs et de ne pas les avoir consultés.

 

Un beau matin de septembre, un prêtre d’une trentaine d’années arrive dans une charrette tirée par un bœuf. Il ressemble aux jeunes cultivateurs de la paroisse qui, depuis l’âge de 10 ans, triment dur sur la terre de leur paternel. Il n’y a pas de fête pour le recevoir. Seulement le bedeau et la servante de l’ancien curé sont là.

 

La servante Hermine est contente parce qu’elle peut reprendre son travail. Le bedeau Berthier l’est aussi. En plaçant des ridelles sur la charrette, il pourra ramasser le foin et le grain. Avec le bœuf, il n’aura plus besoin d’emprunter un cheval de son père. Au printemps de l’année suivante, l’entretien d’un bœuf pour le peu de travail à faire sur la terre amène le bedeau à faire une proposition au curé. « À part votre voyagement, dit-il, le bœuf sert très peu. Que diriez-vous si je l’offrais à certains cultivateurs pour féconder leurs vaches ? Il me semble en bonne santé et a bonne carrure. » Le curé Gravel se dit entièrement d’accord.

 

Au prône, le curé fait l’offre pour un tarif de 10 sous pour une semaine. Trois cultivateurs se montrent intéressés.

 

Pendant ce temps, le père Beauchamp garde à l’étable pour l’engraisser un bœuf blanc et noir qui ressemble étrangement à celui du curé Gravel. Ce qui est étonnant, c’est qu’il est infertile. Le bedeau échange les deux bœufs et conséquemment amène un bœuf infertile chez les cultivateurs concernés. Étant l’auteur du récit, j’ai le goût de demander au bedeau pourquoi il fait cela. Il me répondrait : « Demandez-le à mon père. »

 

Au printemps suivant, les cultivateurs concernés se plaignent au curé que les vaches n’ont pas vêlé. Il ne sait pas quoi répondre parce que son bœuf n’a jamais servi à la reproduction auparavant. Il remet l’argent aux cultivateurs floués.

 

Quelques mois plus tard, le curé Gravel constate que tout l’argent de la fabrique a disparu. Selon ses livres, son tiroir-caisse contenait 320,28 $. « Qui a bien pu s’introduire dans le presbytère, se dit-il, ouvrir le tiroir-caisse qui était sous clef, prendre l’argent et s’enfuir. » Il va vérifier si la clé est toujours dans une poche intérieure de son capot de chat remisé dans un vestiaire de l’entrée. La clé n’a pas bougé. Rapidement, le curé attelle son bœuf et se rend chez le marguillier en chef. Celui-ci va rencontrer le juge de paix pour qu’il fasse enquête.

 

La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans la paroisse. Trois suspects sont vite identifiés : le bedeau, la servante et le curé. Le bedeau soutient qu’il ne connaît pas l’endroit où le curé cache la clé. La servante dit que le curé change souvent l’endroit de la cachette. Il ne lui communique pas toujours cet endroit. La dernière fois, selon elle, la clé était sous le matelas du curé. Après le vol, elle est allée voir, mais la clé n’était plus là. Pour sa part, le curé Gravel ne sent pas le besoin de se défendre.

 

L’enquête du juge de paix tourne en rond quand toute la paroisse apprend que le curé a acheté un appareil radio pour la somme de 120 $. Cet appareil provient directement des États-Unis et, à titre de comparaison, il coûterait environ 2000 $ en 2022. Les yeux accusateurs se tournent davantage vers le curé pour le vol au presbytère. Lors du prône, le curé informe ses paroissiens que l’argent de la radio provient de l’héritage de son parrain.

 

Pendant ce temps, la relation entre Hermine et le Berthier se détériore. Pour pouvoir s’emparer du contenu du tiroir-caisse, le bedeau avait demandé la collaboration de la servante. Celle-ci avait refusé. Berthier lui avait promis qu’ils se marieraient et que l’argent servirait à un mariage festif. Hermine avait fini par accepter. Un soir, elle laisse la porte d’entrée déverrouillée et met la clé à un endroit convenu.

 

Avec le temps, Berthier se fait une nouvelle amoureuse. Il indique à Hermine que son plan de mariage avec elle est à l’eau, préférant maintenant les hommes. La servante est insultée de sa fausse raison. Elle va voir le curé de la paroisse voisine. Elle lui raconte tout. Elle va même jusqu’à incriminer le père du bedeau pour les actes répréhensibles envers les deux curés qui, selon elle, ont été accusés à tort de tout ce qu’on leur reprochait.

 

Le curé voit bien que l’histoire d’Hermine est crédible, mais se demande pourquoi le père du bedeau a été hypocrite et pervers envers les deux curés. « Cela remonte, dit-elle, à la nomination du desservant. Le père Beauchamp, le premier colon de la paroisse, voulait être marguillier. Le desservant, sans que personne ne connaisse les raisons, a choisi quelqu’un d’autre à ce poste. Alors, le père Beauchamp a décidé de nuire tant qu’il le pourrait aux prochains curés. » En somme, depuis l’arrivée du premier curé, le père Beauchamp a tout planifié et organisé : nomination de son fils comme bedeau, engagement de la servante, etc. Au besoin, il demandait l’aide de son fils qui ne pouvait rien lui refuser.

 

L’évêque du diocèse étant décédé depuis quelques semaines, le curé de la paroisse voisine indique à Hermine qu’il ira rencontrer le nouvel élu pour tout lui raconter.

 

Ce dernier sent qu’il a un ménage à faire dans la paroisse de Sainte-Démone. Il commence par émettre un décret pour changer le nom en Saint-Érable, vu la quarantaine d’érablières qu’on y trouve. Il fait venir à son bureau le bedeau et son père. Perte de son poste de bedeau à vie et obligation de rembourser l’argent dérobé pour le fils. Excommunication pour le père. « Toutefois, ajoute-t-il en pointant le père, comme vous êtes le pionnier de la paroisse, vous pourrez demander la révocation de ce châtiment dans cinq ans. »

 

Heureusement, le curé et … son bœuf n’auront pas à quitter la paroisse de Saint-Érable.

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# 5225             27 janvier 2020

Le soldat Dubras

Au début de la Première guerre mondiale en 1914, plus de 330 000 Canadiens s’enrôlent volontairement dans l’armée pour combattre les Allemands en Europe. Avec le temps, le recrutement volontaire ne suffit plus pour maintenir le nombre de soldats jugés nécessaires. Aussi, le gouvernement du Canada, dont le premier ministre est Robert Borden, fait adopter la Loi du service militaire le 29 août 1917. Celle-ci stipule que les hommes non mariés de 20 à 45 ans, sauf exceptions, doivent s’enrôler dans l’armée pour éventuellement aller combattre outre-mer.

 

À Sainte-Tulipe, une paroisse de l’est du Québec, la nouvelle de la conscription a l’effet d’une bombe. La majorité des paroissiens appuyés par le curé sont contre la conscription. Les jeunes hommes commencent à penser aux meilleurs moyens d’éviter de faire leur service militaire. Mais bientôt, la police militaire, appelée police montée, part à la recherche des récalcitrants.

 

Le conseil municipal recrute des éclaireurs qui ont leur domicile aux confins de la paroisse. Ceux-ci ont comme mission d’informer le maire par téléphone chaque fois qu’un camion de la police montée passe devant chez eux. Le maire qui est propriétaire d’une manufacture de meubles en bois a fait installer une sirène sur le toit de son usine. Aussitôt l’information reçue, la sirène se fait entendre dans toute la paroisse. Ceux qui craignent d’être enrôlés contre leur gré se cachent chez de la parenté, dans des cabanes à sucre, des camps en bois ou en pleine forêt. Ils en ressortent quand la sirène se fait de nouveau entendre.

 

La stratégie fonctionne jusqu’à ce que le maire reçoive la visite d’un agent de la police montée qui lui ordonne de cesser ce manège sous peine d’accusation d’entraves à la justice. Le maire élabore un nouveau plan qui consiste en une chaîne téléphonique. Toutefois, il actionne la sirène quand la police militaire quitte.

 

Bientôt, un désaccord s’installe dans une famille de la paroisse. Le jeune Émile Dubras, 20 ans, ayant marre de se cacher, annonce à ses parents qu’il veut se rendre et s’enrôler dans l’armée. Le père, un conservateur et fervent admirateur de Borden, est entièrement d’accord. « Je t’encourage, mon gars. C’est la loi. Il faut se conformer à la loi. » La mère, une nationaliste discrète, ne le voit pas du même œil. « Tu veux te faire tuer pour les Anglais. Ce n’est pas une bonne idée. Tu mérites mieux que cela. »

 

Quand le curé apprend la nouvelle, il fulmine. Le dimanche suivant à la grand-messe, après les annonces habituelles du prône, il place ses deux mains sur le bord de la chaire et dit : « Mes biens chers frères. J’ai été peiné cette semaine d’apprendre que le jeune Émile Dubras et un de ses compagnons ont décidé de s’enrôler dans l’armée. Mais, que vont-ils faire là ? Sauver l’Angleterre. L’Angleterre n’est pas notre mère patrie. Elle a pris notre territoire par les armes. Sauver la France. La France nous a abandonnés en 1763. Elle ne mérite pas qu’on l’aide. »

 

Le curé reprend son souffle. Les joues écarlates, les yeux perçants, il continue d’une voix forte et cinglante : « Ces deux jeunes hommes, sans le réaliser, sont des traîtres à notre patrie. Leurs actions ne pourront qu’apporter des malheurs à la paroisse. Aujourd’hui, il n’y aura pas de sermon. Au lieu de cela, nous allons réciter un chapelet pour implorer la Vierge Marie que cette guerre cesse. » Pendant cette prière, les femmes pleuraient, les hommes demeuraient stoïques.

 

Le jeune Dubras prend le train avec son compagnon et se rend à Val-Cartier, près de Québec. Sa mère éplorée avait pris soin de placer du sucre à la crème et un petit mot d’encouragement dans son sac de linge.

 

Le séjour au camp ne se passe pas comme Émile l’avait rêvé. Il est constamment harcelé par un sergent qui veut connaître les cachettes des hommes de Sainte-Tulipe. Plus encore, il entend des histoires d’horreur sur ce qui se passe dans les tranchées en France. Une rumeur qui s’est avérée fausse circule à l’effet que trois soldats canadiens-français ont été crucifiés par les Allemands. De plus, la présence anglaise au camp commence à lui peser, lui qui ne parle pas l’anglais. Il songe à déserter.

 

À la fin de septembre, un soldat du régiment est atteint de la grippe espagnole et en meurt. Lors d’une séance de tir, Émile se sauve. Il se cache quelques jours à Québec, puis, son état physique se dégradant, il prend le train et se rend dans sa famille à Sainte-Tulipe.

 

Deux jours plus tard, vers 10 heures du soir, trois soldats font irruption dans la maison des Dubras. L’un d’eux dit d’une voix autoritaire : « Je suis le caporal Voyer. Nous venons chercher le soldat Émile Dubras. Il a déserté. On a l’ordre de le conduire à la caserne comme prisonnier. » Le père baisse la tête et dit : « Émile a attrapé la grippe espagnole. Le médecin est venu cet après-midi. Vous ne pouvez pas l’emmener. » La mère sort de sa chambre à coucher en toute vitesse : « Laissez tranquille mon fils. C’est de votre faute, s’il est malade. Vous lui avez donné la grippe espagnole et s’il meurt ce sera de votre faute. »

 

Le caporal est momentanément embarrassé. Il demande qu’on le conduise à la chambre du malade. Constatant l’état du jeune homme, il change d’idée.  Il donne l’ordre aux parents de quitter leur maison avec leurs six autres enfants. Il dit : « La maison appartient maintenant à l’armée. Nous allons nous y installer et, pointant le père, vous avez le droit de venir tirer vos vaches et effectuer les travaux des champs, mais pas question d’entrer dans la maison. »

 

Pendant un moment, le père songe à aller chercher son fusil de chasse, mais finalement se résigne. La mère réveille les enfants et, avec son aide, chacun prépare un petit baluchon. Le père va atteler le cheval sur la voiture. On se dirige directement vers le presbytère. Le curé est atterré par la situation et conseille aux parents d’obtempérer pour ne pas aggraver la situation en pensant au bien de leur fils.

 

Le lendemain matin, une voisine voit quelqu’un qui fait les cent pas sur la galerie de la maison des Dubras. Elle regarde attentivement : c’est un soldat carabine à l’épaule. Elle se précipite chez ce voisin. Le soldat lui interdit l’entrée et lui dit : « Je suis chargé de voir à ce que le déserteur ne se sauve pas ou qu’il ne soit pas enlevé. Seuls, le médecin de la paroisse, la mère du malade et le curé sont autorisés à le visiter. Transmettez ce  message aux autres paroissiens. »

 

En fin d’après-midi, le curé et le médecin se rendent à cette maison. Émile semble dans un état stable, mais assez critique. Il se plaint, toutefois, que souvent pendant la nuit un soldat lui braque une lanterne électrique dans les yeux. Il se plaint aussi que la radio est constamment ouverte. Le médecin interpelle le caporal en lui demandant de respecter davantage le malade. Mais, cet avertissement ne change rien.

 

Chaque jour, la mère et le médecin viennent voir le malade, la première pour lui préparer de légers goûters, le second pour vérifier l’évolution de la maladie et lui prescrire les remèdes appropriés. Souvent le curé les accompagne.

 

Les paroissiens sont révoltés et indignés que le jeune homme malade soit l’objet d’une surveillance exagérée et que les Dubras aient été chassés de leur maison. Le maire, le curé et le médecin écrivent une lettre de désapprobation aux autorités militaires. Quelques jours plus tard, un enquêteur militaire se rend au domicile des Dubras. Le caporal se justifie en disant qu’il avait suivi le protocole. L’enquêteur précise : « Ce protocole doit être appliqué avec discernement et seulement à l’endroit de l’ennemi. Notre déserteur n’est pas un ennemi, c’est un criminel. » Les trois soldats reçoivent l’ordre de retourner à la caserne. Les Dubras peuvent revenir dans leur maison, mais ne le font pas immédiatement.

 

Peu de temps avant, la mère Dubras a commencé à sentir des douleurs à la poitrine et a eu des accès de fièvre. Diagnostic : grippe espagnole. Mêmes symptômes chez le curé et chez la sœur d’Émile. Même diagnostic.

 

Au départ des soldats, le maire demande au père Dubras s’il accepterait de convertir sa maison en refuge pour les malades. Il accepte pour se faire pardonner par ses coparoissiens, mais en vain. La mère et sa fille en sont les premières bénéficiaires. Pour sa part, le curé préfère rester au presbytère. L’évêque lui envoie temporairement un assistant.

 

La consternation est palpable dans la paroisse. Le téléphone qui normalement est utilisé seulement pour les affaires se transforme en canal de mauvaises nouvelles. Les noms et l’état des malades se propagent rapidement. Bien plus, les usagers fustigent la famille Dubras d’avoir laissé leur fils s’enrôler et, conséquemment, d’être le responsable de l’épidémie dans la paroisse.

 

Pendant le mois qui suit, il y a dans cette paroisse 14 décès dus à la grippe dont la sœur d’Émile et le curé. Émile a fini par se rétablir. Il a écopé de deux ans de prison à titre de déserteur. La vindicte populaire a obligé les Dubras à quitter la paroisse. Ils se sont enfuis aux États-Unis. Après avoir purgé sa peine, Émile est allé les rejoindre.

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# 5085             5 novembre 2019

Alphonse Daudet

Chers petits-enfants,

Je m’appelle Alphonse Daudet, tout comme le grand écrivain français du même nom qui a vécu au 19e siècle. Je suis né à Saint-Chrysanthème le 13 mai 1940, soit 100 ans jour pour jour après la naissance de mon homonyme. Quand j’étais jeune, à cause de mes succès scolaires, l’inspecteur d’écoles m’a donné le livre Contes du lundi. Plus tard, j’ai lu Les lettres de mon moulin, deux œuvres du célèbre conteur.

 

Il y a deux ans, un de mes fils m’a donné un ordinateur. Je m’en suis d’abord servi pour écrire des courriels. Aujourd’hui, à l'âge de 77 ans, je vais vous raconter mon histoire à partir de mon clavier. Je ne suis pas un aussi bon conteur que le vrai Alphonse Daudet, mais je vais m’efforcer de trouver les bons mots et de ne rien vous cacher.

 

*********

 

Mon enfance à la maison du septième rang de Saint-Chrysanthème au Québec s’est passée dans le calme et la sérénité. Quand j’avais cinq ans, je demandais à ma sœur de six ans de me lire des mots dans son livre de première année. Ma mère m’a appris à écrire les lettres. Aussi, quand j’ai commencé l’école, je savais déjà lire et écrire. À l’époque, j’avais beaucoup d’ambitions. J’admirais mon grand-père paternel Daudet qui était un cultivateur prospère avec ses 18 vaches et ses 200 poules. Il était aussi maire de la municipalité.

 

Quand j’entrai à l’école du rang à six ans, j’étais gonflé d’orgueil. Je me croyais savant. Je n’avais aucune attention et aucune compassion pour les jeunes de mon âge qui avaient de la difficulté en lecture et en écriture. J’étais le meilleur et je le savais.

 

En deuxième année, il y avait à l’école un garçon de 14 ans nommé Antoine qu’on appelait le bavasseux. Il répétait à qui mieux mieux que j’avais été adopté. Bientôt, les autres enfants se moquèrent de moi en m’appelant Alphonse l’adopté. À l’époque, le fait d’avoir été adopté était une tare qui risquait de vous mettre pour longtemps au ban de la société.

 

Au début, j’y attachais peu d’importance. Je savais que ce n’était pas vrai. J’en profitais pour narguer les autres élèves en disant que mon aïeul Alphonse Daudet avait été un grand écrivain et qu’un jour je serai riche et célèbre comme lui. Pendant ce temps, eux vivoteraient dans la pauvreté sur une terre de roches.

 

Quand j’en ai eu marre des quolibets, j’en parlai à ma mère. Elle me jura que tout était faux. Elle me dit : - Dimanche prochain, je vais aller voir le curé et je vais lui demander de me donner une copie de ton extrait de baptême.

 

J’attendais avec anxiété le moment de recevoir le précieux document. Il était bel et bien écrit que mon père était Vincent Daudet et que ma mère était Adéline Reynaud. Le baptême avait eu lieu le jour même de ma naissance. Il était donc impossible que j’aie été adopté. En passant, les noms de mon père et de ma mère étaient les mêmes que ceux des parents du grand Alphonse Daudet.

 

Le lundi matin, le cœur joyeux et conquérant, je parcourus les trois quarts de kilomètre pour me rendre à l’école. Après la prière d’usage, je demandai à l’institutrice de me donner la parole. Je me dirigeai en avant de la classe avec le fameux papier en main. Je dis : - Mes amis, j’ai la preuve que je n’ai pas été adopté. Je demande à Mademoiselle de vous lire ce qui est écrit.

 

Après la lecture, tous les élèves ont applaudi, sauf Antoine. Je me suis dit : « Il me cherche, ce raté qui a doublé deux fois. » Toutefois, j’ai pu vivre en paix et continuer à idéaliser le nom des Daudet.

 

À l’âge de 12 ans, j’ai demandé à mon père de diviser son poulailler en deux parties. Je voulais faire l’élevage des poules et vendre des œufs comme mon grand-père paternel Daudet. Au début, mon père s’y est objecté. Devant ma détermination, il a fini par accepter d’ériger une cloison qui me laissait le quart du poulailler. Il était entendu qu’il me donnait six poules et que je devais acheter moi-même la nourriture pour mes poules en plus de les entretenir.

 

Mon projet était de vendre des œufs au magasin général et, en été, au bord de la route. À ce moment, je n’avais pas pensé que je pouvais aussi vendre les poules pour la nourriture et qu’il me fallait un coq si je voulais avoir des petits poulets. À ce sujet, mon père m’a beaucoup aidé. Il était fier de moi et de mon implication.

 

À peu près au même temps, une dame de la paroisse publia un livre intitulé Naissances, mariages et décès de Saint-Chrysanthème de 1850 à 1950. Toutes les familles se sont fait un devoir d’en acheter un exemplaire. Ma famille avec ses sept enfants avait sa place dans le livre. Toutefois, un détail attira mon attention. C’était écrit que le mariage de mes parents avait eu lieu le 30 novembre 1939. Pourtant, ma mère m’avait toujours dit que c’était le 30 novembre 1938. J’en parlai à ma mère qui me confirma que la dame du livre avait bel et bien fait une erreur. Alors, je fis la correction.

 

En septième année, la maîtresse d’école qui m’enseignait n’était pas diplômée. Les élèves faisaient à peu près ce qu’ils voulaient. Après les vacances de Pâques, elle ne revint pas à son boulot. C’était pour moi une année perdue.

 

Quelques mois plus tard, le téléphone fut installé dans les rangs. Dans le rang 7, il y avait 12 abonnés. La compagnie a divisé ceux-ci en deux groupes de six. Ce qui veut dire qu’il y avait une seule ligne par groupe. Chaque abonné pouvait reconnaître qu’un appel lui était destiné par un nombre de petits et de grands coups. Quand le téléphone sonnait chez nous, il sonnait aussi chez les cinq autres abonnés. Cependant, Il ne pouvait y avoir qu’une conversation à la fois.

 

De temps à autre, je m’amusais à écouter les conversations téléphoniques des autres coabonnés. Un bon jour, j’entendis une dame du village dire à notre voisine :

- Savais-tu que Vincent Daudet s’est marié obligé ?

- Non.

- Va dans le répertoire de la paroisse. Tu remarqueras qu’Alphonse est né seulement cinq mois après le mariage de ses parents.

- Je n’en crois pas mes oreilles. Peut-être y a-t-il erreur ?

 

Je raccrochai doucement le combiné. Je ne savais pas trop comment réagir. Si mon père apprenait que j’avais joué avec le téléphone de cette façon, il m’aurait chicané. J’ai donc décidé de ne rien faire.

 

Le 13 mai 1954, c’était mon 14e anniversaire de naissance. Mon père m’a donné un couteau et m’a dit : « Bienvenue dans le monde des grands. Je te donne le même cadeau que mon père m’a donné à cet âge. À 14 ans, j’étais un homme. À ton tour de l’être. » Mon père m’annonça alors que j’arrêterais l’école en juin après l’obtention de mon certificat de septième année. J’étais déçu. Je voulais faire ma huitième et ma neuvième année au couvent du village. Mon père me dit :

- Tu vas travailler avec moi sur la terre et, quand tu auras 18 ans, je t’enverrai à l’école d’Agriculture. Dès demain, je vais enlever la cloison dans le poulailler.

- S’il vous plaît, ne faites pas çà.

- Je te cède la gestion de tout le poulailler à la condition que tu fournisses gratuitement les œufs pour toute la maisonnée.

 

Un bon soir, je suis allé veiller chez un ami du rang. Ses parents m’ont dit qu’une rumeur circulait dans la paroisse à l’effet que mon père n’était pas mon vrai père. Le lendemain matin au déjeuner, je fis part de cette rumeur à ma famille. Mon père me dit : « Fiston, n’écoute jamais les rumeurs. » Mes frères et mes sœurs se moquaient de moi : « Tu n’es pas un Daudet comme nous. » Ils savaient bien que je les surpassais des pieds et de la tête. Ils voulaient ainsi me faire avaler mon arrogance.

 

Quelques jours plus tard, mes parents m’ont raconté toute l’histoire. Mon vrai père était un Reynaud, le père de ma mère. J’étais contrarié, stupéfait et choqué. Les larmes me montaient aux yeux. Mais comme mon père m’avait déjà dit que j’étais un homme et qu’un homme ne doit pas pleurer, je retenais mes larmes en crispant mes poings. Voici ce qui est arrivé :

 

À 18 ans, ma mère est tombée enceinte. Mon grand-père Reynaud est allé voir mon père qui était alors célibataire et qui avait 25 ans. Il lui a demandé s’il voulait se marier un jour. Ce dernier répondit oui. Alors, mon grand-père lui proposa la main de sa fille en ajoutant qu’elle était enceinte. Ils devaient donc se marier dans les trois mois qui suivaient. Mon père adoptif était d’accord et il expliqua qu’il avait déjà un œil sur elle. Toutefois, il exigeait de connaître le nom du père naturel. C’est à regret que mon grand-père lui chuchota à l’oreille que c’était lui. Il conclut en disant : « C’est un SECRET de famille. On  ne parle plus jamais de cela. »

 

Tous les scénarios que j’avais échafaudés concernant les Daudet venaient de s’écrouler. Je n’ai jamais été un Daudet et je ne le serai jamais. J’avais une peine immense du fait que le véritable Alphonse Daudet devait sortir de ma vie parce que visiblement nous n’avions pas le même sang.

 

Mes frères et mes sœurs ont connu le secret seulement après que mon grand-père soit décédé. Évidemment, ils étaient tenus au silence. Il semble bien que la nouvelle ne s’est pas ébruitée parce qu’encore aujourd’hui personne ne sait de façon certaine qui est mon père naturel.

 

J’ai voulu changer mon nom de famille. Mais, prendre le nom de Reynaud m’humiliait encore plus.  D’ailleurs, mon père adoptif, même s’il me comprenait, n’était pas d’accord. Je devais regarder la réalité en face. Mon grand-père Reynaud qui venait de décéder était mon père naturel. Hélas, il était trop tard pour lui dire papa.

 

J’arrête là mon récit. Je suis encore trop bouleversé par les révélations que je vous ai faites. Mes émotions me grugent. Toutefois, n’oubliez jamais : « C’est un SECRET de famille. » Je vous reviendrai bientôt pour la suite de l’histoire de ma vie.

 

* * *

 

Alphonse Daudet est décédé quelques mois plus tard. Entre temps, il avait été incapable de se remettre à écrire sur sa vie.

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# 4970             30 août 2019

Fréquentations douteuses.

On est le 23 avril 1939. Delphine, une jeune fille de 19 ans, se présente au presbytère de sa paroisse, Sainte-Pivoine. Madame Curé lui ouvre la porte.

- Que puis-je faire pour vous ?

- Je voudrais parler à monsieur le curé.

- Il est en train de fumer une pipée dans la cuisine. Il va venir vous recevoir.

 

Delphine est très stressée. Elle sait que le curé est un être sévère et peu sympathique. Elle a appris à le connaître quand elle a marché au catéchisme, il y a 5 ou 6 ans.

- Quel bon vent vous amène, ma chère Delphine, de dire le curé ?

- Voilà, j’ai un fiancé et mes parents ne veulent pas que je l’épouse.

- Depuis quand êtes-vous fiancés ?

- À vrai dire, nous ne sommes pas fiancés. C’est Philéas, mon futur, qui m’a convaincu qu’on pouvait se fiancer en secret et sans en parler à nos parents.

- Avez-vous une bague de fiançailles ?

- Non. Philéas dit qu’il n’a pas assez d’argent pour m’en acheter une.

- Pourtant, son père est notaire.

 

Sur ces paroles, le curé vide sa pipe dans le cendrier en faisant un bruit d’enfer. Delphine baisse la tête et se dit que la conversation est bien mal partie.  Le curé reprend :

- S’il ne passait pas ses après-midis à la buvette du village, peut-être aurait-il le moyen de t’acheter une bague.

- Il ne m’a jamais dit cela.

- Au fait, pourquoi tes parents refusent-ils que tu le maries ?

- Je ne le sais pas. Ils disent que ce n’est pas un bon parti pour moi. Pourtant, il a une automobile et un bon travail au moulin à scie. Il a 25 ans.

- Est-ce que tu l’aimes ?

- Oui, beaucoup.

- Est-ce qu’il t’aime.

- Assez.

- Ça veut dire quoi assez ?

 

Dans sa tête, Delphine revoit les images où son cavalier avait tenté de l’embrasser dans la maison de ses parents. Elle revoit sa mère qui, arrivée à l’improviste, avait capté la scène. Mais, elle n’ose pas aborder le sujet avec le curé. Elle reprend ses esprits et d’un air assuré :

- Monsieur le curé, pourriez-vous intervenir auprès de mes parents pour qu’ils acceptent ce mariage ?

- Tu sais que tu es mineure et qu’à ce titre tu dois obéir à tes parents qui sont les représentants de Dieu sur terre.

- Je le sais, mais …

 

Le curé lui coupe la parole.

- Tu te souviens de mes leçons de catéchisme, n’est-ce pas ?

- Philéas dit que si mes parents refusent toujours, on se mariera quand j’aurai 21 ans.

- Je vais prier pour toi.

 

Le curé vient de mettre un terme à la conversation. Elle se lève et le remercie. Elle bouillonne de colère sans l’exprimer et regrette d’être venue le rencontrer.

 

Les mois passent. Philéas continue à courtiser la jeune fille. Il se comporte en cavalier sérieux et attentionné devant les parents de celle-ci. Il ne lui dit pas tout et, à l’occasion, il fabule. Mais, elle ne voit rien et n’entend rien. De son côté, il fait semblant d’être heureux que la mère de Delphine délègue un chaperon quand ils font un tour en automobile le dimanche après-midi. Il donne des sous à l’accompagnatrice pour aller acheter des jujubes. Pendant ce temps, il en profite pour voler des baisers passionnés à sa bien-aimée.

 

De jour en jour, Delphine se sent mal à l’aise dans cette paroisse. Ses parents, le curé et bientôt la rumeur populaire semblent se liguer contre elle. Alors, elle dit à son cavalier :

- Tu sais. Quand on sera marié, je veux qu’on aille vivre en ville.

- J’y avais pensé, de dire Philéas le plus sérieusement du monde. Tu peux compter sur moi. J’ai un oncle qui a un moulin à  scie en ville. Je lui en ai parlé. Il est prêt à me vendre son entreprise. Mon père serait d’accord pour me prêter de l’argent. Mon expérience dans un moulin à scie depuis bientôt deux ans va sûrement m’aider et j’aime la senteur du bran de scie.

- Tu ne m’as jamais parlé de ça. Mais, je suis tellement contente.

 

L’opinion des parents de Delphine envers le cavalier ne change pas. Au contraire, les rumeurs leur apportent des faits qui les confortent dans leur prise de position. Un jour, le père de la jeune fille lui dit :

- Tu seras majeure dans deux mois. Tu pourras alors faire ce que tu veux. Mais, ta mère et moi vont toujours s’opposer à ce mariage.

- Pourquoi ?

- Parce que Philéas est un exploiteur et un menteur. Il  ne t’aime pas du tout. Il l’a confié à un de mes proches. Je n’aurais jamais dû le laisser entrer dans ma maison. C’est une vraie vermine.

- Papa, je pense que vous exagérez. Il m’a souvent mis en garde contre ce que les gens disent de lui.

- Tu vois, par là, que j’ai raison.

- Savais-tu que, certains soirs, il va en ville pour jouer aux dés avec ses amis de bouteille et qu’ils prennent des gageures ?

- J’en ai assez.

 

Delphine se réfugie dans sa chambre, toute en pleurs. Elle verse des larmes pendant une partie de la nuit. Le lendemain matin, plus sereine, elle commence à réfléchir sérieusement à son avenir avec cet homme. Elle décide de le confronter.

 

Elle se pointe au moulin à scie pendant sa pause de l’après-midi.

- C’est vrai que tu joues aux dés avec tes amis ? Combien dépenses-tu à ces jeux ?

- Encore une rumeur. Ça m’est arrivé une seule fois et j’ai perdu 25 sous. Ce n’est pas un drame.

- Si on se marie, me promets-tu de ne plus boire et de ne plus jouer à l’argent ?

- C’est sûr que je te le promets.

 

La réponse sidère la jeune fille. C’est bien cette réponse qu’elle voulait, mais elle avait été faite avec désinvolture et sans apparence de sincérité. Elle continue :

- Même quand je serai majeure, mes parents ne voudront pas que je t’épouse. Ils craignent que tu ne sois pas un bon mari et un bon père.

- Écoute Delphine. Actuellement je vis ma jeunesse. Une fois marié, je devrai être toujours auprès de toi et de nos enfants. Quand tu seras majeure, tes parents n’ont plus d’affaires là-dedans. Es-tu d’accord ?

- Donne-moi un bec, Philéas. Je vais penser à tout ça.

 

Philéas craint que le vent commence à tourner. Il décide d’aller voir le père de sa bien-aimée. Il le trouve dans son fenil en train de décharger un voyage de foin. Il lance brusquement :

- Je veux vous parler de notre mariage, Delphine et moi.

- Quel mariage ? Il n’en est pas question.

- C’est vous qui répandez de fausses rumeurs à mon endroit dans la paroisse. Il faut que cela cesse, sinon …

- Sinon quoi ?

 

Tout en parlant, le père descend de son voyage de foin. Il fixe le regard du jeune homme et le menace avec sa fourche. Philéas se tourne de côté et voit une autre fourche le long du mur. Il court s’en emparer et se place devant le père :

- Vous voulez me faire mal. C’est un jeu qui se joue à deux. Quand votre fille sera majeure, elle m’épousera. Elle me l’a promis.

 

Le père dans tous ses états lance des jurons et s’approche dangereusement du jeune homme. Ce dernier, presqu’en criant, dit :

- Je vais TE tuer.

 

Le frère de Delphine, un costaud âgé de 19 ans et qui avait travaillé dans les chantiers, entend cette menace et se précipite dans le fenil, en s’emparant en cours de route d’un madrier qui traînait.

 

Malheureusement, il est trop tard. Le père est blessé. Le sang gicle d’une de ses épaules. Son fils atterré se dirige vers Philéas.

- Mon tabarnak, vois ce que tu as fait. Crisse ton camp au plus sacrant. La prison t’attend.

 

Philéas est accusé de menaces de mort, de coups et de blessures envers le père de sa bien-aimée. Il écope de six mois de prison. Delphine est atterrée. Elle comprend qu’elle aurait probablement vécu de la violence de la part de cet homme. Deux ans plus tard, elle épouse un garçon qui est le bienvenu dans la famille.

 

Philéas n’a jamais remis les pieds dans la paroisse de Sainte-Pivoine. Même son père est allé pratiquer le notariat ailleurs parce qu’il perdit une grande partie de ses clients.

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# 4060            16 décembre 2017

Le Noël de mes 13 ans

Mon nom est Rodolphe. J’ai été adopté à ma naissance. Deux ans plus tard, mes parents sont allés chercher des jumeaux à la Crèche. Mon père était cultivateur au rang 6. Ma mère était reine au foyer et … un peu à l’étable. Nous sommes le 25 décembre 1973. Je suis actuellement en prison. Hier, ma mère m’a apporté une orange, un crayon et un cahier. Elle voulait me rappeler le Noël de mes 13 ans. Ce que je vais vous raconter s’est passé, il y a 30 ans. Commençons au début de l’année scolaire 1943-1944.

 

Septembre. Je suis en septième année. Une nouvelle institutrice enseigne à l’école du rang. Constatant que des élèves nous traitent de bâtards, moi et mes frères, elle prend fermement notre défense disant aux autres élèves que nous sommes des enfants de Dieu autant qu’eux. Elle interdit d’utiliser le terme « bâtard » à l’école. C’est la fin des invectives.

 

Début de décembre. L’institutrice  décide de monter un spectacle à l’intention des parents des élèves de l’école pour fêter Noël. Je suis choisi pour chanter Ça, bergers. Mes frères jumeaux doivent interpréter Les anges dans nos campagnes.

 

À la maison, mon père se prépare à faire boucherie. Le deuxième samedi de décembre, il décide de tuer un bœuf. Moi et mes deux frères demandent la permission d’assister à ce spectacle. Au départ, il refuse net, mais devant notre insistance, il acquiesce. Mon père entraîne le bœuf sur le fenil. Je revois encore le pauvre bœuf recevoir un coup de massue dans le front et tomber par terre. Mon père fait la saignée et il s’écrie : « Rodolphe, apporte une chaudière. » Je suis figé. Je suis incapable de bouger. Ma mère s’empresse d’apporter la chaudière. Je quitte abruptement le fenil tout en larmes.

 

Le lundi suivant, alors que nous sommes à l’école, mon père tue un porc. La famille aura de la viande pour tout l’hiver. Une conséquence grave. Mon père attrape une pneumonie. Le médecin vient à la maison et lui donne une piqure de pénicilline. Mais la maladie ne le quitte pas. Le 23 décembre, mon père ne peut pas assister au spectacle de l’école. Il est encore partiellement alité. C’est les larmes aux yeux que je chante Ça, bergers. Je me souviens du refrain et du premier couplet. Les voici :

 

Refrain
Çà, bergers, assemblons-nous
Allons voir le Messie
Cherchons cet Enfant si doux
Dans les bras de Marie
Je l'entends, il nous appelle tous.
Ô sort digne d'envie.

 

Premier couplet
Laissons là tout le troupeau
Qu'il erre à l'aventure
Que sans nous sur ce côteau
Il cherche sa pâture
Allons voir dans un petit berceau
L'auteur de la nature.

 

« Irons-nous à la messe de minuit cette année, me dis-je ? » Le seul moyen de transport est la voiture traînante à cheval. Mon père tient à ce qu’on y aille. Ma mère est craintive. Elle se souvient que, le dimanche précédent lors de son sermon, le curé a mis en garde les habitants des rangs 5 et 6 contre la présence d’ours dans le secteur, principalement la nuit. En effet, entre le rang 4 et le 5, la route est en pleine forêt sur une distance d’au moins 200 mètres. Le curé avait dit : « Choisissez une voiture dont les brancards sont munis de clochettes et apportez une lampe de poche. »

 

Après une bonne discussion, mon père intervient et dit à ma mère : « Prends la sleigh à patins. Il y a suffisamment de clochettes pour faire peur aux ours. » Le 24 décembre, vers 22 heures 30, j’aide ma mère à atteler le cheval. Nous partons, moi, les jumeaux et ma mère. Mon père nous regarde derrière les rideaux. Le temps est froid, pas de vent et un ciel rempli d’étoiles. C’est féerique avec les clochettes qui ne cessent de résonner et le crissement des patins sur la neige. C’est encore plus féerique quand on voit les arbres tapis dans l’ombre qui semblent nous saluer et les étoiles qui voltigent dans le ciel.

 

À un moment donné, le cheval se redresse, lève ses pattes d’en avant et hennit d’une drôle de façon. Il se lance dans une course effrénée. Ma mère essaie de le retenir en tirant de toutes ses forces sur les cordeaux. Peine perdue. La course continue. Finalement, le cheval s’arrête brusquement. Nous sommes éjectés de la voiture et plongeons tête première dans le banc de neige. Heureusement, plus de peur que de mal. J’étais  certain que si mon père avait été là, cela ne serait pas arrivé. Il aurait su parler au cheval qui avait une grande confiance en lui.

 

Ma mère vérifie l’état des brancards. L’un est légèrement tordu, mais pas plus. Un cultivateur du rang qui passe confirme à ma mère que nous pouvons continuer notre route sans problème.

 

Rendus au village, nous nous dirigeons vers l’écurie des habitants qui abritent les chevaux lors des cérémonies religieuses. Des cultivateurs viennent aider ma mère à dételer le cheval. Puis, nous nous rendons à la salle paroissiale en attendant le début de la messe. Quand nous entrons dans l’église, j’ai l’impression que tous les regards sont tournés vers nous. Les nouvelles circulent vite dans une petite paroisse.

 

Notre famille a son banc dans l’église. Ma mère se place au fond. Les jumeaux près d’elle. Je prends la place de mon père au bord du banc. J’en suis très fier. Peu après, Théodore, l’homme à la voix d’or, entonne le Minuits chrétiens.

 

Minuit ! Chrétiens, c'est l'heure solennelle
Où l'homme Dieu descendit jusqu'à  nous.
Pour effacer la tache originelle,
Et de son père arrêter le courroux :
Le monde entier tressaille d'espérance
En cette nuit qui lui donne un sauveur.
Peuple à genoux, attends ta délivrance.
Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur !
Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur !

Théodore a une mauvaise réputation dans la paroisse. Il tient une petite épicerie et est renommé pour sa cupidité. Mais pour chanter, il est imbattable. Peut-être a-t-il appris en faisant chanter ses clients ?

 

Lors de la quête, ma mère me donne 10 sous et je dépose cette pièce dans le panier du marguillier qui passe par tous les bancs. La cérémonie est longue, car le prêtre doit dire une deuxième messe. J’en profite pour penser à mon père qui doit s’ennuyer à la maison. Je chantonne dans mon for intérieur le texte de Ça, bergers. Je souhaite que le messie vienne redonner la santé à mon père.

 

Le retour à la maison se fait calmement. Au sortir du village, déjà les jumeaux sont tombés endormis. Je succombe non longtemps après. Quand je me réveille, ma mère a terminé de dételer le cheval. Je l’accompagne à l’étable. Puis nous entrons dans la maison.

 

Sur la table de cuisine, trois sacs en papier sont minutieusement placés. À voix basse, ma mère dit : « Les enfants, n’ouvrez pas les sacs. Votre père m’a demandé de le réveiller quand on arriverait. » Au bout de quelques minutes, ma mère sort de la chambre en retenant ses larmes. « Votre père est mort, dit-elle. » Nous sommes catastrophés. Nous pleurons et nous nous roulons par terre. « Pas notre père, disons-nous. C’est injuste. Nous avons besoin de lui. Que nous arrivera-t-il ? » À ce moment, nous craignons d’être dispersés.

 

Ma mère qui contrôle ses émotions nous dit calmement : « Les enfants, allez vous coucher, vous ouvrirez les sacs plus tard. » Le lendemain matin, les sacs ont disparu. Tout au long de la journée de Noël, il y a un va-et-vient dans la maison. Les adultes se parlent entre eux, parfois à mots couverts. Je dis à un jumeau :

- Ça y est, ils complotent contre nous. 

- Tu sais bien que notre mère ne nous abandonnera jamais, de reprendre le jumeau. »

 

Un neveu de ma mère qui a 18 ans nous informe qu’il s’occupe de l’entretien des animaux dans l’étable. Ça nous rassure un peu.

 

Je nous revois encore, moi et les jumeaux, lors du service funèbre. Une de nos tantes nous avait habillés : chemise blanche, cravate noire et habit noir. Nous étions dans le banc des marguilliers en avant de l’église. Derrière nous, les frères et sœurs de ma mère. De l’autre côté de l’allée, les frères et sœurs de mon père.

 

Cette cérémonie a duré une éternité. Ma mère laissait échapper des gémissements provoqués par les larmes qu’elle retenait. Notre père était parti pour toujours sans nous prévenir. Avant cela, nous étions des enfants adoptés, maintenant nous sommes des orphelins.

 

Quand nous nous levons le lendemain du service funèbre, les trois sacs ont regagné la table. Après une courte prière où ma mère nous demande d’avoir une pensée spéciale pour notre père, nous ouvrons nos sacs. On y trouve une orange, un crayon et un cahier. Je suis content. Mais je ne peux pas savourer ce moment. Quelque chose s’est cassée dans ma tête.

 

Ma mère me prend à part et me dit :

- J’ai demandé à mon neveu de 18 ans de venir demeurer avec nous. Il va s’occuper des travaux de la ferme.

- Bonne idée, maman.

- Rodolphe, tu vas être obligé d’abandonner l’école pour aider mon neveu.

- Mais, maman, je n’ai que 13 ans. Je veux aller à l’école. Je vous l’ai déjà dit. Je veux faire un notaire comme mon oncle Antoine-Gaspard.

- Rodolphe, ça me crève le cœur, mais je n’ai pas le choix. Sinon, je vais être obligée de vendre la terre et de vous placer chez des parents. Dans deux mois, tu auras 14 ans. Tu es assez costaud pour travailler sur la terre et à l’étable.

 

C’est ainsi que j’ai quitté l’école à 13 ans au milieu de ma septième année. Plus tard, j’ai hérité de la terre familiale. Je me suis marié et j’ai eu cinq enfants. Quant aux jumeaux, ils ont eu la chance de poursuivre leurs études. L’un est agronome et l’autre, comptable. En reconnaissance de l’immense sacrifice que j’ai fait pour eux, l’agronome me conseille dans la rotation de mes semences et dans mes achats d’engrais. Le comptable m’aide à tenir mes comptes, étant donné que la comptabilité des cultivateurs d’aujourd’hui est de plus en plus compliquée.

 

En ce 25 décembre 1973, à 43 ans, j’ai le temps de réfléchir au temps passé parce que, comme vous le savez, je suis en prison. J’ai écopé de 15 jours pour avoir braconné la nuit avec un projecteur. Je sors de prison dans cinq jours. Je me souhaite de ne plus braconner. Loin de ma famille, ce Noël est tragique pour moi, mais moins que celui de mes 13 ans.

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# 3795               4 juillet 2017

Un orphelin perturbateur

C’était le 20 mars 1945. Si je me souviens bien, c’était un mardi. Je me levai ce matin-là les poumons engorgés. Je me mis à tousser. Je regardai dehors. Un soleil timide était au rendez-vous. Quand j’eus fini de m’habiller, je descendis à l’étage. Ma mère se préparait pour aller traire les deux vaches qui avaient déjà vêlé.

- Maman, lui dis-je, je suis encore malade. Je veux aller à l’école quand même.

- Commence par faire ta toilette. Apprends ton Angelus. On verra quand je reviendrai de l’étable.

- Maman, je suis toujours malade.

 

Ma mère quitta sans rien ajouter. J’avais alors 10 ans. J’étais en cinquième année à l’école du rang. Depuis le début de l’année scolaire, j’avais manqué une dizaine de jours. Toujours les poumons. Quand ma mère revint, elle mit sa main sur mon front et me dit :

- Tu n’iras pas à l’école aujourd’hui. Aurais-tu par hasard joué dans la neige hier à l’école ?

- Maman, je veux aller à l’école, murmurais-je tout en baissant la tête.

- Ce sera pour demain, peut-être.

 

Quand mes deux sœurs et mon frère partirent pour l’école, j’avais la larme à l’œil. Vers 10 heures, j’entendis un bruit provenant du chemin. Je reconnus ce son. C’était le snowmobile du postillon. Je courus à la fenêtre. Le véhicule s’arrêta. Je vis un passager qui débarquait. C’était mon oncle Arthur, vêtu d’un long manteau et d’un casque de poils.

 

J’étais alors seul avec ma mère. Mon père et mon frère plus âgé étaient allés bûcher dans le ravin du fronteau. Ma mère était heureuse d’accueillir son frère. Mais elle semblait se dire : « Que vient-il faire ici en cette belle journée ? ». Tous deux parlèrent de sujets plutôt banals, jusqu’à ce que mon oncle se rende compte que le snowmobile revenait de sa tournée et qu’il approchait de la maison. Alors, il lâcha le morceau :

- Si je suis venu, c’est pour te dire qu’Hélène, la femme de notre frère Mathias, est décédée cette nuit.

- A-t-elle eu le temps d’accoucher, de reprendre ma mère qui savait que tante Hélène était non loin de la délivrance ?

- Oui. L’enfant, un petit garçon, est en bonne santé.

- Comment cela s’est-il passé ?

- À cause des mauvais chemins, le médecin a tardé à venir. Quand il est arrivé, Hélène avait quitté ce monde. La sage-femme avait réussi à sauver le poupon.

- Mathias doit être désespéré, de reprendre ma mère, lui qui a maintenant huit enfants dont la plus vieille a 14 ans. Que va-t-il faire ?

- Je ne le sais pas. Au revoir, il faut que je me sauve. Le postillon m’attend.

 

Ma mère alla se terrer dans sa chambre. Quand elle revint, elle avait encore les yeux humides.

- Pensez-vous que mon oncle Mathias va se remarier, lui dis-je ?

- Ce n’est pas le moment de parler de ça.

 

Les funérailles eurent lieu le jeudi suivant. Au retour, ma mère nous annonça qu’elle allait accueillir un fils de l’oncle Mathias. Ce dernier avait décidé de placer tous ses enfants chez ses frères et sœurs. Mon oncle était contremaître et mesureur de bois pour monsieur Bernache qui possédait un moulin à scie. Il avait obtenu son certificat de septième année à l’école modèle du village avec grande distinction.

 

L’orphelin que ma mère avait accepté d’accueillir était son filleul. Il s’appelait Félix. Il avait neuf ans. Il était le troisième de la famille et il était en quatrième année au couvent du village. J’étais atterré. J’appréhendais le pire. Je n’avais pas du tout l’intention de partager ma mère avec un garçon que j’avais vu une seule fois à l’église.

 

Le samedi suivant en avant-midi, l’oncle Mathias arriva mal rasé et la figure en charpie. Il avait emprunté la voiture et le cheval du curé pour se déplacer. Le jeune Félix ne voulait pas débarquer. Il cria : « Je ne veux pas rester dans cette famille de colons. » Son père le traîna par un bras. Ma mère accourut au devant de son frère et lui dit : « Je vais en prendre bien soin de ton Félix. » Cela calma quelque peu le jeune garçon. N’ayant pas le cœur à la conversation, mon oncle s’en retourna sans plus.

 

Ma mère amena Félix visiter sa chambre à coucher. Il y avait là trois lits et un bureau à trois tiroirs. « Voici ton lit, lui dit-elle. Le tiroir du bas t’appartient. » Félix souleva les couvertures et vit une paillasse. Il se retourna vers ma mère : « Chez nous, j’avais un matelas. Je ne veux pas coucher sur ce tas de paille. J’ai peur des souris ». Ma mère leva les bras montrant qu’il n’avait pas le choix. Les deux autres lits étaient le mien et celui de mon frère plus jeune que moi.

 

Le lundi suivant, ce fut l’entrée à l’école du rang. Le jeune orphelin fit la connaissance de la quinzaine d’élèves. L’institutrice l’accueillit avec beaucoup de chaleur. Félix était toutefois agacé de se retrouver avec des élèves de 6 à 14 ans. Au village, il était seulement avec les jeunes de son degré, soit en quatrième année. Il dut s’habituer à faire de nombreux exercices sans avoir toujours les explications qu’il aurait désirées. Il s’acoquina rapidement avec un garçon de son âge qui demeurait au bout du rang et qui l’entraînait dans ses mauvais coups.

 

À la maison, il commença à abuser de la patience de ma mère. Quand celle-ci était à l’étable, il s’amusait à faire pleurer mes jeunes sœurs en leur disant qu’elles n’étaient pas belles. Il courait après elles dans la maison, les pinçant à l’occasion. Quand mes sœurs se plaignaient, ma mère disait : « C’est un orphelin. » et elle n’intervenait pas. Mis au courant, mon père fit une sainte colère. Il regarda Félix dans les yeux en lui disant d’une voix forte : « Tu ne feras plus pleurer tes cousines, sinon… ». Le jeune garçon figea.

 

Le soir même, alors que je dormais, Félix se leva. Il prit le bénitier qui était accroché au mur et vida le contenu dans une de mes oreilles. Je me réveillai. J’étais fâché. Je lui signifiai de ne jamais recommencer cela car il aurait affaire à moi et… à mon père. Le lendemain, je m’en plaignis à ma mère qui me fit promettre de ne pas en parler au paternel. Je pensais qu’elle punirait Félix pour son geste dangereux. Elle n’en fit rien. À partir de ce moment, le jeune garçon comprit qu’il était protégé.

 

Quelques semaines plus tard, après l’école, Félix prit une échelle. Il l’appuya sur le pont du fenil. Il monta sur la grange, amenant avec lui mon jeune frère de neuf ans. Quand j’ai vu la scène, j’ai couru avertir ma mère. Sur les entrefaites, mon père arriva. Il leur cria de descendre. Il dit à Félix : « Va dans ta chambre. Pas de souper pour toi. On se reverra demain matin. » Tout penaud, l’orphelin a obéi.

 

Quelques minutes plus tard, alors que mon père dételait les chevaux, Félix descendit à l’étage :

- Je veux téléphoner à mon père, dit-il à ma mère. Je ne veux plus rester ici.

- Tu sais bien qu’on n’a pas le téléphone.

- C’est ça, répondit-il. Je suis dans une famille de colons.

- Retourne à ta chambre, je t’en prie.

 

Les frasques de l’orphelin continuèrent. Un jour que j’étais dans ma chambre, j’entendis mes parents discuter :

- Dimanche, tu vas aller voir ton frère Mathias, de dire mon père. Tu vas lui signifier que son Félix n’est plus le bienvenu ici et qu’il devra le reprendre. J’ai peur qu’il finisse par provoquer un accident.

- Je ne peux pas faire ça, insista ma mère. Tu sais bien que Mathias a vendu sa maison. Il couche dans son bureau. Nous sommes les parrains de l’enfant. Nous n’avons pas le choix.

- Si c’est comme ça, tu seras responsable de ce qui va arriver. On t’a sûrement dit qu’il y a quelques jours il a pris un marteau et a menacé notre petit dernier d’en faire une galette, sans compter les insultes qu’il profère sans retenue. Je veux bien me retenir, mais j’ai peur de perdre les pédales sous l’effet de la colère.

- Je vais voir ce que je peux faire.

 

Quand mon père eut quitté la maison, j’allai voir ma mère.

- Maman, dis-je, Félix empoisonne ma vie. Il est en train de gâcher mon enfance. Il nous chante des bêtises. Il dit que nous sommes bornés. Tenez, l’autre jour, il m’a dit : « Moi, quand je serai grand, je vais vivre en ville et toi, tu vas faire un cultivateur et végéter en campagne comme ton père. Dans votre maison, il n’y a pas d’électricité, pas de téléphone, pas de radio. Vous vivez comme des sans-desseins. C’est ce que vous êtes aujourd’hui et ce que vous serez demain. »

- C’est affreux, de répondre ma mère, mais c’est mon filleul. Selon ce que l’Église enseigne, quand on accepte d’être parrain, on prend la responsabilité de l’enfant, advenant le cas où les parents ne sont plus en mesure de s’en occuper.

- Maman, l’église ne parle pas. Elle est en pierres.

- Petit ratoureux, tu sais bien ce que je veux dire.

 

Je n’étais pas très fier de ma remarque. Je craignais qu’elle ne fasse qu’atténuer mon désarroi aux yeux de ma mère. Toutefois, celle-ci rencontra son frère le dimanche suivant. L’oncle Mathias lui demanda de garder son fils encore quelques temps en attendant de trouver une solution.

 

Quelques jours plus tard, ma mère servit du lièvre au dîner. Félix repoussa son assiette : « Je ne mange pas de cette bête de campagne ». Mon père reprit : « À ta chambre. » L’orphelin se mit à pleurer et quitta la table. La tension était palpable dans la maison. Le repas se passa sans que personne ne dise un mot.

 

Quand mon père fut parti pour faire ses semences, ma mère fit un sandwich et l’apporta au jeune garçon. « J’espère que mon père ne l’apprendra jamais, me dis-je. »

 

Une ou deux semaines plus tard, alors que nous étions en train de réciter le chapelet, on cogna à la porte. C’était l’oncle Mathias. Mon père quitta, prétextant avoir des travaux à faire à l’étable. Le visiteur apportait un demi-gallon de crème glacée. L’orphelin s’écria : « On ne trouve pas ça en campagne. » Son père le regarda d’un air indigné. Une de mes sœurs sortit des soucoupes de l’armoire et des cuillers. Nous avons allégrement dévoré le précieux contenu. Ce fut un moment de répit fort mérité. Après le départ de l’oncle, Félix ne cessait pas de dire comment la vie au village était plus agréable qu’en campagne.

 

Pas longtemps après, mon frère alors âgé de 18 ans, quitta la maison pour aller bûcher sur la Côte-Nord. Il en avait assez de la vie familiale qui se détériorait de jour en jour. Ma mère comprit qu’elle n’avait plus le choix. Elle ne voulait pas attendre que sa famille éclate. Alors, elle insista auprès de son frère pour qu’il retire son fils. Une semaine plus tard, elle revint à la maison en disant que Félix était accepté dans une école dirigée par des Frères de Saint-Joseph. Cette école était dédiée aux orphelins et aux jeunes en difficulté d’adaptation. C’était, en réalité, une école de réforme, comme on le disait à l’époque.

 

Félix n’était pas très heureux du choix de sa nouvelle école. « Je préfère quand même cette nouvelle vie à celle que j’ai vécue ici, disait-il. Au moins, je ne vivrai plus avec des colons ». En septembre, Félix quitta le foyer qui l’avait accueilli environ six mois plus tôt. La sérénité revint dans la maison.

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# 3690                22 mai 2017

Un discours de cœur

Il est 7 heures 30 du matin le mercredi 9 mai 1945. La radio annonce en grande pompe la fin de la Seconde Guerre mondiale. François, 12 ans, descend l’escalier du haut, chemise blanche, habit rayé bleu, souliers de cuir avec une cravate à la main :

- Papa, pourriez-vous, s’il vous plaît, nouer ma cravate, de dire le jeune garçon ?

- François, je te l’ai déjà dit, il faut que tu apprennes à faire seul ton nœud de cravate. Mais, que se passe-t-il ce matin ?

- C’est le plus beau jour de ma vie. Imaginez que j’ai un discours à faire à l’école cet avant-midi.

- Un discours ?

- Mère Saint-Antoine nous a demandé d’écrire un texte sur le sujet de notre choix, de l’apprendre par cœur et de le réciter devant la classe.

- Et quel sujet, as-tu choisi, de reprendre le père qui commence à être inquiet.

- Vous ne pourriez jamais deviner. Je parle de vous.

- Tu m’as caché ça. Je pourrais voir ton texte.

- Impossible. Il faudrait que vous l’extrayiez de mon cerveau. Le texte est dans mes neurones.

- J’espère que tu ne diras pas de mal de moi.

- Au contraire, je vous l’assure.

 

François pris son déjeuner dans l’enthousiasme et la fébrilité. De temps à autre, il se réfugiait dans sa mémoire. Il avait hâte de livrer son texte. Sur le chemin du couvent, il flottait dans les nuages. De pas en pas, sa hâte se décuplait. Il refusait de parler à ses compagnons, étant certain de livrer le meilleur discours.

 

Quand son tour vint, le jeune garçon de sixième année se leva. Il marcha vers le devant de la classe la tête haute et dégageant un air suffisant. Il commença en disant tout d’un trait :

« Un père formidable

Mère Saint-Antoine,

Chers amis »

 

Des éclats de rire parcoururent l’assemblée. Les élèves regardaient à gauche et à droite cherchant dans la classe ce père formidable. La religieuse, assise devant la classe, gesticulait pour calmer les ardeurs. Ne se sentant pas intimidé, François recommença : « Un père formidable » et il fit une pause. Il continua :

« Mère Saint-Antoine,

Chers amis, 

J’ai choisi de vous parler de mon père Ferdinand. Vous le savez comme moi, mon père est médecin de campagne. Il rend fréquemment visite aux malades de la paroisse. Il n’est pas comme ces médecins de ville qui attendent les patients à leur bureau. Il a étudié la médecine pendant quatre ans à l’université et est, sans aucun doute, le meilleur médecin de la terre.

 

Parfois, les cultivateurs n’ont pas d’argent pour payer le médecin. Ils promettent alors à mon père de lui livrer du bois de chauffage ou lui promettent des services. Quand mon père arrive à la maison avec des belles pièces de chevreuil ou des lièvres, c’est une fête pour nous ses quatre enfants.

 

Mon père s’occupe de nous avec amour. Il nous permet de fouiller dans sa bibliothèque pour choisir des livres. Ainsi, j’ai pu lire des romans d’Honoré de Balzac. Je voudrais lire du Jean-Jacques Rousseau, mais il dit que je suis trop jeune. Parfois, il me fait venir dans son bureau et me donne des leçons d’hygiène ».

 

En entendant ces derniers mots, la religieuse fit une grimace. « Il appartient à l’école, pensa-t-elle, de parler d’hygiène et de bienséance ». François continua :

« Mon père pense que le curé ne se mêle pas de ses affaires quand il contredit ses conseils. Prenez l’autre jour, une femme a failli mourir en donnant naissance à un enfant mort-né. Mon père lui a dit qu’elle ne devrait plus avoir d’enfants. Elle est allée voir le curé. Celui-ci lui a dit que seul Dieu pouvait décider de la vie et qu’il fallait avoir confiance en la divine Providence ».

 

La religieuse se leva et dit d’un ton ferme : « Ce ne sont pas des sujets qu’on doit traiter en classe. De plus, on n’a pas le droit de dire du mal du curé. Je vous en prie, François, ne dites plus de calomnies ».

 

Le jeune garçon ne fut pas déstabilisé pour autant. Il continua : « Quand mon père est libre, il nous amène en ville visiter des expositions et voir des films. C’est formidable. Bien plus, l’hiver, il joue avec nous autres dans la neige. Il glisse en luge sur les pentes enneigées.

 

Bref, mon père est formidable. Je ne voudrais pas avoir d’autre père que lui, surtout pas monsieur le curé. Merci ».

 

Le local de classe faillit éclater par la vigueur des applaudissements. Était-ce à cause de la qualité du discours ou à cause de la pointe bien dirigée vers le curé ? Le jeune garçon était fier de sa prestation. En même temps, il redoutait l’appréciation de la religieuse.

 

À la fin de la journée, les résultats furent communiqués. Les notes variaient de 50 à 90 sur 100. Mère Saint-Antoine faisait à l’occasion des remarques. Quand elle arriva à François, elle dit : « 60 sur 100. Bon débit. Pas de blanc de mémoire. Bon sur la forme, mais douteux sur le fond ».

 

Le jeune garçon se retint pour ne pas pleurer. Il regarda les autres élèves comme s’il avait eu 100 sur 100. Cette attitude vint froisser davantage la religieuse, mais elle ne réagit pas.

 

François arriva chez lui le cœur en lambeaux. 

- Que se passe-t-il, demanda son père ?

- Je n’ai eu que 60 sur 100 pour mon discours. Pourtant, il était très bon. C’est injuste.

- Tu vas me réciter ton discours et je pourrai apprécier.

 

Le jeune garçon s’exécuta. Quand il eut terminé, le père Ferdinand eut cette réflexion.

- Je pense que tu n’aurais pas dû parler du curé, mais bon, ce n’est pas une raison pour te donner une aussi piètre note. Je vais voir ce que je peux faire.

- Ça adonne bien, la religieuse veut vous rencontrer.

 

Le soir même, le père se rendit au couvent, un peu humilié de devoir rencontrer l’enseignante de son fils alors que ses résultats scolaires étaient excellents et que sa conduite avait toujours été irréprochable.

 

Il fut reçu avec un brin de méfiance.

- Monsieur Ferdinand, votre fils, indiqua la religieuse, a été indigne. Il a critiqué publiquement monsieur le curé, un homme de Dieu.

- Indigne, ma sœur, est un gros mot. Je dirais plutôt qu’il a été maladroit. J’ai toujours élevé mon fils dans le respect des personnes et dans l’idée qu’il devait développer son autonomie.

- J’ai discuté de son cas avec la mère Supérieure, de reprendre sœur Saint-Antoine. Nous sommes venues à la conclusion qu’il avait besoin d’une bonne leçon. Si vous ne pouvez pas la lui donner, l’école peut le faire. Mère Supérieure voulait qu’il soit mis à la porte du couvent. Mais, après discussion, on s’est entendu pour une suspension de trois jours.

- Là, c’est de l’exagération. Vraiment, vous croyez aider à la formation de mon fils en lui infligeant une sanction démesurée. Le curé est-il intervenu ?

- J’ai rencontré le curé, mais il ne m’a pas parlé de sanction. Il pense que vous êtes l’initiateur du texte de votre fils.

- J’en ai assez entendu. L’affaire ne restera pas là.

 

Le père était outré. Sur le chemin du retour, il réfléchissait pour savoir comment se sortir de ce bourbier inattendu. La rivalité entre le curé et Ferdinand ne datait pas d’aujourd’hui. Il arrivait souvent au curé qui était en poste depuis trois ans de contredire les diagnostics du toubib. Mais là, cette rivalité prenait une tournure nouvelle puisqu’elle avait été rendue publique par son propre fils.

 

Joséphine, la présidente des Enfants de Marie, une confrérie dont les membres étaient des célibataires adultes de tout âge, convoqua une réunion spéciale. On ne sera pas surpris d’apprendre que Joséphine était la servante du prêtre depuis 20 ans, soit depuis sa première nomination comme curé dans une autre paroisse.

 

La plupart des membres de l’association étaient indignés de constater que le fils du médecin avait parlé du curé de façon cavalière. La présidente alla plus loin.

- J’ai un secret à vous dire. Un jour, alors que je voulais rencontrer monsieur Ferdinand, j’entrai dans le vestibule. Il n’y avait personne. Je cognai à la porte du bureau et ouvrit. Quel ne fut pas étonnement de voir le jeune François les culottes baissées devant son père qui avait une débarbouillette à la main !

- Ah, non ! reprirent certaines. C’est grave. C’est de l’indécence.

- Personnellement, de reprendre une assistante, à l’avenir je vais aller voir le médecin de la paroisse voisine. C’est d’ailleurs plus proche.

 

D’autres acquiescèrent. Il fut convenu de ne pas prendre d’autres dispositions. Toutefois, le mot d’ordre fut à l’effet que chacune devait dire un chapelet par jour pour le salut de l’âme du médecin.

 

Le jeune François réalisa peu à peu la portée de ses paroles, un peu comme ce qui se passe au 21e siècle avec les médias sociaux. Il admettait qu’il aurait dû être plus prudent. De son côté, son père ne l’accablait pas, lui laissant le temps d’approfondir sa réflexion. Toutefois, le jeune garçon ne voulait plus retourner à l’école. « Attendons à dimanche pour prendre une décision, indiqua son père. »

 

À la grand’messe du dimanche, dans son prône, le curé dit : « Mes très chers frères, cette semaine au couvent, il s’est passé un événement triste. Je demande aux paroissiens de ne pas envenimer la situation par des racontars parfois exagérés. Je voudrais quand même vous dire que, selon le département de l’Instruction publique dirigé par nos évêques, l’enseignement de l’hygiène appartient à l’école. Il est de la responsabilité de l’école de transmettre les préceptes et les pratiques hygiéniques. Je dois ajouter que personnellement votre curé n’est pas outré d’avoir été critiqué publiquement, mais l’homme de Dieu que je représente l’est. L’Église catholique est forte et elle a vu des situations beaucoup plus outrageantes ».

 

Le médecin avait pris la précaution de ne pas aller à la messe ce dimanche-là. Il craignait de subir des humiliations face aux paroissiens. Il en profita pour discuter avec son fils sur sa demande de ne plus aller à l’école. 

- Tu sais, François, ton avenir est important pour tes parents. Il ne faudrait pas qu’une mauvaise décision gâche ta vie. Il reste un peu plus d’un mois d’école. Toutefois, après mûre réflexion, je consens à ce que tu restes à la maison. Ta mère et moi vont se charger de ton instruction pour qu’en septembre prochain tu puisses graduer en septième année et ce, en ville.

- Merci, papa. Je regrette tout ce qui arrive. Si c’était à refaire, j’agirais autrement. Vous avez dit : En ville.

- Oui, renchérit le père. Pendant les vacances d’été, nous déménageons en ville. Je vais m’y ouvrir un bureau. Je vais continuer quand même à agir comme médecin de campagne puisque je vais faire du service dans les paroisses de l’arrière-pays. J’y pensais depuis quelques mois. Tu m’as donné le coup de pouce nécessaire à cette prise de décision.

 

Ainsi se termina cette saga qui aura duré moins d’une semaine. Le père ne regretta jamais sa décision. François fut comblé par les facilités de la ville.

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# 3620                 22 avril 2017

Zéphirin se démarque

Zéphirin est né le 20 août 1915, jour où l’Église célébrait le saint du même nom qui a été pape et martyr. Il était le deuxième garçon d’une famille qui allait bientôt compter 12 enfants. À la maison, on l’appelait Zéphyr, un dieu grec personnifiant le vent de l’ouest, mais aussi une fleur d’une hampe blanche dont la floraison apparaît à la fin de l’été.

 

Alors qu’il était en quatrième année à l’école du rang où son père était cultivateur, un visiteur donna un nouvel essor à sa vie. C’était l’inspecteur d’écoles. En raison de ses succès scolaires, l’homme à la chemise blanche lui donna un livre qui traitait des fleurs et des oiseaux. À sa grande surprise, le premier chapitre traitait du zéphyr comme plante. Cela piqua sa curiosité. Il commença la lecture. Il ne comprenait pas le sens de tous les mots.

 

Zéphyr demanda deux sous à sa mère pour aller s’acheter un cahier au magasin général. Le dimanche suivant, il s’y rendit. Le curé interdisait la vente le dimanche, mais comme la municipalité n’avait pas édicté de règlement à cet effet, le marchand ouvrait les portes de son commerce dans la plus grande discrétion. Le jeune garçon revint chez lui avec un précieux cahier.

 

Il recommença la lecture de son livre en notant chaque mot qui lui était inconnu. Il laissait deux lignes libres. À la maison, il n’y avait pas de livres de référence pour l’aider. Alors, il faisait ses recherches dans le dictionnaire de l’école. Quand il ne comprenait pas, il interrogeait l’institutrice qui parfois ne savait pas quoi répondre et qui le trouvait bien tannant. Il écrivait la définition des mots dans son cahier.

 

L’année suivante, quand l’inspecteur, un ornithologue amateur, revint à l’école, il interrogea les élèves : « Comment s’appelle l’oiseau qui a un bec jaune, les yeux bruns et des anneaux foncés autour des yeux ? » Zéphyr leva la main et répondit :

- La chouette rayée, monsieur l’inspecteur.

- C’est la première fois que j’ai une bonne réponse, de réagir le visiteur. Comment le sais-tu ?

- Monsieur l’inspecteur, j’ai lu le livre que vous m’avez donné l’année dernière. En plus, je lis régulièrement une revue agricole à laquelle ma mère est abonnée.

- Très bien, mon garçon, continue ainsi. Tu vas te démarquer dans la vie.

- Que veux dire démarquer, monsieur l’inspecteur.

- Mademoiselle, avez-vous un dictionnaire ?

 

Les élèves étaient étonnés. Même l’inspecteur si savant ne connaissait pas le sens de ce mot. En réalité, il voulait leur enseigner ce qu’on doit faire dans ces circonstances.

- Permettez-moi, monsieur l’inspecteur, de reprendre l’institutrice. Zéphirin a souvent recours au dictionnaire. Vous voyez comment le livre est usé.

- Je vais demander à la commission scolaire de vous acheter un nouveau dictionnaire.

 

Zéphyr était ravi. Par une intervention, il venait de faire bouger les choses jusqu’au plus haut niveau. C’est une leçon qu’il retiendra pour tout le reste de sa vie.

 

La situation lui semblait propice pour soumettre à l’inspecteur son problème :

- Monsieur l’inspecteur, dit-il, je suis actuellement en cinquième année. Je voudrais faire ma sixième année dans cette école. Ma mère est allée rencontrer le secrétaire-trésorier de la commission scolaire. Il lui a dit que je devais aller à l’école du village. Pouvez-vous m’aider ?

- Je regrette, mon garçon. Le département de l’Instruction publique autorise seulement l’école modèle du village à dispenser la sixième et la septième année.

 

Zéphirin était déçu, mais il était fier d’avoir interpelé l’inspecteur à ce sujet. « Peut-être, se disait-il, que les choses changeront dans l’avenir ».

 

Quand Zéphyr eut 19 ans, il demanda à être admis dans la Ligue du Sacré-Cœur. Cette confrérie composée uniquement d’hommes visait à propager la vie chrétienne dans la famille et dans la paroisse. Avec le curé comme aumônier, les ligueurs devaient veiller à éviter le relâchement des mœurs, les écarts de conduite et les mauvaises fréquentations. Les gens qui ne faisaient pas leurs Pâques étaient particulièrement visés parce qu’ils étaient considérés comme des communistes.

 

Pendant trois ans, Zéphyr se distingua particulièrement par un intense apostolat. Après une réunion des ligueurs, le curé interpela son meilleur propagandiste :

- Zéphirin, je songe à mettre sur pied un cercle agricole dans la paroisse. Maintenant que tu es marié et que tu as une terre, je pense que tu pourrais m’aider à réaliser ce projet.

- Vous pensez vraiment, monsieur le curé, que je pourrais y être utile. Je devrais alors devoir abandonner la Ligue.

- D’autres pourront te remplacer comme ligueur. Les cultivateurs doivent mettre en commun leurs connaissances et peut-être bien dans l’avenir fonder une coopérative de services pour eux.

- C’est une excellente idée, de reprendre Zéphyr. Avez-vous des textes qui me donneraient des arguments ?

- Reviens me voir dans une semaine et je te fournirai de la documentation.

 

Après avoir lu les documents fournis par le curé, Zéphirin recruta des cultivateurs. Lors de la première réunion, il fut élu président.

 

Pendant ce temps-là, on discutait fermement sur la venue possible du téléphone dans la paroisse. La compagnie de téléphone du Terroir avait approché plusieurs paroissiens pour y étendre ses services. Zéphirin consulta les membres du cercle agricole sur ce sujet. Plus de 80 % des cultivateurs étaient contre, arguant que c’était une dépense supplémentaire pour un service dont ils n’avaient pas besoin. « Nous avons au village un médecin, disaient-ils. Il se déplace. À part cela, à quoi nous servirait le téléphone ? Nous devrons payer des frais de 10 ou 15 sous par appel. Nous n’avons pas les moyens ».

 

Pour sa part, Zéphirin était plutôt en faveur du projet, mais devant la volonté majoritaire des membres du cercle agricole, il préféra ne pas prendre position. Il en parla au curé qui était très déçu. Lors d’une réunion subséquente où le curé était absent à cause de sa visite annuelle chez l’évêque, le sujet fut débattu avec vigueur. Pour en avoir le cœur net, les membres mandatèrent leur président pour rencontrer le maire. Sa mission, convaincre celui-ci de tenir un référendum.

 

Devant les pressions, la municipalité acquiesça. Le curé qui n’hésitait pas à se mêler des affaires civiles intervint en chaire lors d’un prône : « Mes très chers frères, parfois Dieu nous parle, nous n’entendons pas. Parfois, nous parlons à Dieu et il ne nous écoute pas. Par le téléphone, nous pourrons parler à une autre personne sans égard à la distance qui nous sépare. Quand j’étais curé dans mon ancienne paroisse, à peu près tout le monde avait le téléphone. Je ne comprends pas pourquoi vous hésitez à accueillir cette merveilleuse invention qui a sûrement été dictée par Dieu lui-même ».

 

Malgré l’intervention du curé, 70 % des hommes votèrent contre le projet. Le propriétaire du magasin général, celui de la forge, du moulin à farine et des deux scieries étaient déçus. Mais, la volonté populaire s’était exprimée.

 

Quelques mois plus tard, alors qu’on était en février, Zéphirin se rendit chez son cousin, cultivateur au septième rang. Ce n’était pas pour une fête, car un jeune de huit ans était sur les planches. Il était décédé de convulsions. Le cousin prit Zéphirin à part et lui dit :

- Je pense qu’on devrait se montrer en faveur du téléphone. Vois-tu, quand mon fils a commencé à avoir des convulsions, j’ai attelé mon cheval pour aller chercher le médecin. J’ai parcouru aller-retour 12 kilomètres dans la tempête. Quand je suis revenu à la maison avec le médecin, mon fils avait cessé de vivre. Selon le médecin, il a souffert d’épilepsie sévère.

- Je suis désolé.

- Peut-être que si on avait eu le téléphone, j’aurais pu appeler le médecin et lui demander quoi faire en attendant sa visite. J’ose croire que je n’aurais pas perdu mon fils.

 

Zéphirin était bouleversé. Il enchaîna :

- Tu as raison, mon cousin, on ne peut pas se passer de cette invention qui peut sauver des vies. J’en parle aux membres du cercle agricole. La vie est plus importante que l’argent.

- Ce n’est pas le moment propice pour en parler, de reprendre le cousin, mais je pense que je pourrais vendre des poteaux à la compagnie.

 

Zéphirin rendit visite à un grand nombre de cultivateurs leur expliquant ce que son cousin avait vécu. Peu à peu, il obtint leur appui. Il se présenta à une réunion du conseil municipal où il fit part de la nouvelle position du cercle agricole. Les conseillers adoptèrent une résolution demandant à la compagnie de téléphone de s’implanter dans la paroisse.

 

La compagnie avait un autre problème à résoudre. À quel endroit devait-elle installer la console téléphonique ? Une nouvelle controverse s’éleva dans la paroisse, mais cette fois-ci la décision appartenait à la compagnie. Trois propositions de lieux furent faites : le magasin général, la boutique de forge et une maison privée. Finalement, la compagnie opta pour la maison privée. Était-ce un hasard ? Le choix s’était posé sur la sœur de Zéphirin qui gardait ses parents dans une maison située au centre du village. Toutes sortes de rumeurs ont circulé, mais on ne sut jamais quelle avait été la nature des interventions du président du cercle agricole à ce sujet.

 

La compagnie décida d’installer d’abord le téléphone au village à cause de la proximité des résidences. Elle annonça qu’elle ferait un rang ou deux par année si elle obtenait suffisamment d’abonnés sur le territoire concerné.

 

Zéphirin pensait à son cousin du rang 7 qui ne pourrait pas jouir du téléphone avant trois ans. Il fallait que la compagnie soit plus rapide. Les membres du cercle agricole étaient de son avis. Ils décidèrent d’offrir les poteaux à moitié du prix du marché.

 

C’est ainsi que les paroissiens purent avoir accès rapidement à une technologie de communication qui leur rendit la vie plus facile et plus sécuritaire.

 

De son côté, Zéphirin continua à s’impliquer dans la vie du cercle agricole. Les cultivateurs augmentèrent leur profit d’année en année. Ils purent ainsi payer les frais de leur utilisation du téléphone.

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# 3565                 31 mars 2017

Les petits sauvages

C’était pendant l’été ensoleillé de mes 10 ans. La chaleur et le soleil se côtoyaient comme bons amis et remplissaient mon cœur de bonheur. En cultivateur ambitieux et sensible, mon père n’avait pas le temps d’admirer la nature. Il la transformait. Ma maman, mère de cinq enfants joufflus et pétant de santé, nourrissaient et habillaient les corps qui carburaient à son énergie.

 

Le charme fut légèrement interrompu par le décès du voisin de l’est. Crise de cœur, crise de foie, crise d’estomac, on ne le sut jamais. Tout ce qu’on savait : il était parti pour toujours. Je me souviens que ma mère avait eu une pensée spéciale pour son âme lors de la récitation du chapelet en soirée. Mais, où était son âme ? Quand il venait chez nous, je n’avais jamais vu son âme. Ses chemises à carreaux verts cachaient-elles un trésor ? Je me disais : « Peut-être bien que l’âme attend notre mort pour quitter le corps. Prisonnière, notre âme l’est et quand le respir disparaît, elle en profite pour prendre la clé des champs. Encore fallait-il qu’elle existe cette satanée âme ? ».

 

Les journées se déroulaient comme grains de chapelet. Prière le matin, prière avant les repas, prière du soir, tout tournait autour de l’élévation de notre âme. Vers qui ou vers quoi ? Je ne le savais pas et n’osais pas m’attarder à ces détails. Que m’aurait apporté une réflexion sur le sujet ? Brûlures d’estomac ? Ces brûlures étaient enfouies au fond de mes entrailles et je ne voulais pas les réveiller. Troubles de sommeil ? Je dormais à la façon de la chaise berçante rouge de la cuisine. Doucement, mes chanteaux gondolaient comme bise du matin.

 

Les trois jours suivant la disparition du voisin furent pénibles pour la maisonnée. Mon père si volubile était soudain devenu taciturne. Peut-être se disait-il : « À quoi bon aimer et dorloter la nature, si elle nous attend au détour ? ». Il prenait une sieste après le dîner : ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Ma mère oubliait de surveiller ses chaudrons qui laissaient échapper des senteurs de soufre ou de souffrance. Elle doublait et triplait les prières pour se rapprocher, sans doute, de son Dieu en qui elle avait une confiance inébranlable.

 

Je passais mon temps à la fenêtre pour épier le va-et-vient chez le voisin. Voitures du dimanche s’arrêtaient et repartaient. Même les chevaux semblaient vivre dans les nuages. À la longue, j’étais troublé par toutes ces ondes qui m’envahissaient et me laissaient pantois. Enfin, le jour de la procession funèbre arriva. On portait en terre un homme qui était vivant, il n’y a pas si longtemps. Mes parents se joignirent aux sympathisants. J’eus moi-même l’honneur de franchir les portes d’une église dont les murs étaient tapissés de larges bandeaux noirs comme pour engourdir notre détresse. Même les 14 stations du chemin de croix avaient disparu sous la noirceur.

 

Puis, peu à peu, la maisonnée reprit vie. Mon père cessa de faire sieste et de craindre les sursauts de la nature. Ma mère devint moins accro à la prière et surveillait ses chaudrons comme avant le triste événement. Cette renaissance s’améliora avec l’arrivée d’un nouveau voisin, accompagné de sa femme et de ses deux garçons. Mais d’où venait cet énergumène qui parlait en monosyllabes et qui regardait toujours derrière lui comme s’il était suivi ?

 

Le lendemain de leur installation, ma mère alla leur souhaiter la bienvenue. L’homme semblait ne pas apprécier cette visite impromptue. La femme faisait semblant d’être avenante. Les enfants jouaient dehors et se sont tapis derrière un arbre quand ils ont vu ma mère. Maman est revenue à la maison hantée par un soupçon d’inquiétude et de suspicion.

 

L’homme de la ferme s’appelait Marcel et la femme de la maison, Rita. Les garçons avaient 12 et 10 ans. Le plus vieux s’appelait Basile et l’autre, Honoré. Selon leur père, les garçons n’étaient pas tellement collaborateurs dans les travaux de la ferme et ils étaient trop voraces. Selon leur mère, ils étaient bons à l’école, mais ils réussissaient peu. Aller comprendre ce que les parents voulaient dire, c’est comme démêler une corde qui s’est nouée avec le temps et qui ne veut pas se dénouer.

 

Devant cet accueil mitigé, ma mère nous a interdit de rendre visite aux garçons. Il semble bien que la même directive leur avait été donnée, car ils ne se pointèrent pas le nez chez nous. J’oubliais. Ils sont venus une fois avec leur père qui voulait emprunter une bêche. Ils étaient cachés derrière lui et ne disaient mot. Ils étaient comme tête-bêche. On aurait dit que les pieds de l’un s’empêtraient dans la figure de l’autre et réciproquement. Mon père se mit à les appeler les petits sauvages.

 

Mais, d’où venait cette famille ? Lors de sa visite, ma mère avait appris que le père Marcel avait défriché un lot de colonisation dans une paroisse de l’arrière-pays. Toutefois, les rumeurs précisèrent cette information. Le père avait bel et bien obtenu un lot gratuitement en vue de le défricher et de semer. Il avait abattu les arbres et avait vendu le bois, mais il n’avait jamais semé. Le ministère de la Colonisation lui avait confisqué sa propriété sous raison de n’avoir pas tenu ses promesses. Il avait pu se payer une terre, petite mais convenable, avec la complicité de la forêt.

 

Enfin, arriva septembre avec l’école qui ouvrait ses portes. J’avais le vague espoir de devoir mieux connaître Basile et Honoré, surtout Honoré car il était de mon âge. Jusqu’à maintenant j’avais été le seul de mon degré à l’école. Je rêvais au fait de partager mes minimes connaissances avec un copain comme Honoré. Pour ma part, je montais en sixième année et j’étais le seul de la famille à aller à l’école car j’en étais le cadet.

 

Pour le premier jour d’école, ma mère m’avait confectionné des habits de ville. Ces habits cachaient une chemise blanche et une cravate, dons d’une tante de Montréal dont les enfants étaient choyés et noyés sous des vêtements de grande classe. En passant devant la maison des petits sauvages, j’ai ralenti le pas. Je pensais qu’ils allaient me rejoindre au chemin pour parcourir la distance d’un kilomètre qui nous séparait de l’école. Pas de petits sauvages au rendez-vous, mais des petits sauvages qui m’épiaient derrière des fenêtres encore sans rideaux.

 

Deux minutes après mon arrivée à l’école, voilà que Basile et Honoré apparaissent dans le silence le plus total, l’air basse, la mine renfrognée, le cœur qui semblait avoir cessé de battre. Stupeur, Basile qui a 12 ans est en cinquième année et Honoré qui a 10 ans, en troisième année. Que s’est-il passé pour que ces jeunes soient si en retard ? J’ai bien essayé d’en connaître les raisons, mais les petits sauvages parlaient peu et s’exprimaient dans un langage partiellement inconnu pour moi. Plus tard, la rumeur vint à mon secours. Pendant deux ans, l’école de leur rang avait été muette, faute d’institutrice.

 

Lors de cette première journée d’école, les jeunes voisins étaient attriqués de leurs vêtements d’étable. Sans compter la senteur qui semblait les engourdir. Quand j’ai décrit cet habillement à ma mère, elle s’est exclamée : « D’après ce que tu me racontes, ils sont encore plus mal habillés que la chienne à Jacques ». Je ne comprenais pas l’expression. Elle m’a expliqué qu’autrefois dans la paroisse avait vécu un dénommé Jacques Aubert qui avait une chienne ayant perdu tout son poil. Pendant l’hiver, il habillait son animal de compagnie avec de vieux chandails qui tombaient en ruines.

 

J’avais toujours l’espoir de mieux connaître mes deux nouveaux amis. Ils ne coopéraient pas. Le matin et le midi quand je me dirigeais vers l’école, ils attendaient pour sortir de la maison que j’aie déjà parcouru une bonne distance. Au retour, l’un ou l’autre trouvait un prétexte pour retarder son départ. Il était très difficile de nouer des relations d’amitié.

 

En même temps, les petits sauvages semblaient épuisés, sans énergie et sans joie de vivre. J’avais tendance à penser que cela était dû à leur implication dans les travaux de la ferme. Ainsi, chaque matin et chaque soir, je les voyais de loin se diriger vers l’étable et revenir à la maison environ une heure plus tard. Où était le père ? À moins qu’il fût invisible à l’extérieur, mon radar ne le détectait que dans la maison, soit en train de dormir, soit en train de manger.

 

L’automne avançait tranquillement. La nature avait tellement à faire pour se préparer à l’hiver qu’elle semblait oublier la présence des petits sauvages, eux qui pourtant étaient plus près de la nature que du catéchisme qu’il fallait apprendre par cœur. Le froid se manifestant en gradation, ma mère sortit mes mitaines. Mes deux amis, eux, prétextaient ne pas en avoir besoin et me traitaient de frileux. Lorsqu’au début de décembre un froid glacial envahit la région, ils arrivèrent à l’école les mains recouvertes de bas. Ils dissimulèrent ces précieuses couvertures dans leurs poches de manteaux, mais j’avais eu le temps de les voir.

 

Quelques jours plus tard, cette voisine vint emprunter un timbre à ma mère. « Je veux écrire au curé, expliqua-t-elle. J’en ai assez de ma vie de prisonnière et de femme molestée dans mon cœur ». À ma mère qui lui demandait pourquoi elle n’allait pas voir le curé en personne, elle rétorqua : « Mon mari me suit partout quand je sors de la maison. Même quand je vais aux fraises, il exige qu’au moins un de mes fils m’accompagne ». Ma mère en profita pour lui remettre deux paires de mitaines. D’abord, elle refusa. « Mon mari, dit-elle, est content que mes enfants n’aient pas de mitaines. Il m’a dit qu’ainsi toute la paroisse saura que je suis une bonne à rien ». Puis, sur l’insistance de ma mère, elle accepta. Le lendemain, j’ai trouvé les mitaines le long du chemin.

 

Comme dîner à l’école, les garçons du voisin avaient une tranche de pain, avec un soupçon de beurre d’arachides. Je partageais alors mon macaroni avec eux. Les petits sauvages commençaient tranquillement à communiquer avec moi, en bribes mais ce n’était mieux que rien. Un jour, Basile me raconta qu’il avait souvent faim. « À titre d’exemple, me dit-il, quand ma mère fait cuire un lièvre, mon père le mange presque tout, nous laissant la tête ».

 

Il relata un événement qui était arrivé dernièrement. Alors que son père arrivait de la chasse, celui-ci sentit une odeur appétissante. Cette sensation olfactive provenait du poêle à bois sur lequel cuisait un chiard composé de patates et de couennes de lard. Son père prit le récipient et en mangea plus de la moitié. Ceci étant fait, il dit : « Ce ragoût est d’un goût insupportable. Basile, va porter le reste aux cochons ». Honoré insista pour accompagner son frère. En un rien de temps, ils dévorèrent ce qui restait. De retour à la maison, Basile dit à son père : « La queue des cochons se tortillait de joie en avalant le chiard ». Le père rétorqua : « D’après le temps que vous avez pris, je pense que c’est vous les cochons ».

 

L’année scolaire s’écoula quand même assez rapidement. Le 1er juin, en passant devant la maison des petits sauvages, j’ai été estomaqué de voir une pancarte sur laquelle il était écrit : « Ferme à vendre ». C’était la première fois dans la paroisse qu’un tel procédé était utilisé pour se départir d’une propriété. J’ai questionné les petits sauvages pour connaître la raison de cette décision. Ils n’en savaient rien. « Tout ce que mon père nous a confié, de dire Basile, c’est qu’il pense partir en voyage dans quelque temps ». Était-ce la prison qui l’attendait à cause de ses actes de braconnage ? Était-ce le ministère de la Colonisation qui était à ses trousses ? Était-ce le curé qui était intervenu à cause de son épouse ? Les gens savaient tellement peu de choses sur la vie de cette famille que personne ne pouvait résoudre le mystère.

 

Lors du dernier jour d’école, en passant devant leur maison, tout était désert. Pendant la nuit, les petits sauvages et leurs parents s’étaient envolés vers une destination inconnue. Depuis ce jour, je pense souvent à mes deux amis. Je les revois seulement en rêve.

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# 3490                 1er mars 2017

Vengeances funestes

Laurette Aubut est née en 1940 dans un village rural. Son père était propriétaire d’une petite boutique où il vendait des produits de première nécessité. C’était l’équivalent d’un dépanneur d’aujourd’hui. Sa mère avait souvent des périodes de dépression, mais elle habillait sa fille avec soin et propreté.

 

Laurette fréquenta le couvent du village qui était tenu par des religieuses du Saint-Rosaire. Elle avait d’excellents résultats scolaires, car sa mémoire était d’une fidélité exemplaire. Quand elle était en cinquième année, la religieuse qui lui enseignait demanda aux filles de la classe de dire ce qu’elles voulaient faire plus tard. Laurette leva la main et dit : « Moi, je voudrais écrire une encyclopédie ».

 

Étonnée, la religieuse lui demanda si elle savait ce qu’était une encyclopédie. Elle répondit sans ambages : « Bien sûr que je le sais. À chaque année, ma mère achète l’Almanach du peuple et elle dit que c’est une véritable encyclopédie ».

 

À la cour de récréation, Laurette s’entourait de jeunes filles qui se racontaient les petits bonheurs et les petits malheurs de la paroisse. Elle savourait chaque anecdote et la racontait à sa mère le soir venu. En dehors de l’école, elle aidait son père à la boutique et apprit rapidement le prix de tous les articles. C’était d’autant plus facile qu’à cette époque les prix ne changeaient à peu près pas. Elle aimait jaser avec les clients et leur soutirer des confidences qu’elle prenait plaisir à raconter à ses compagnes.

 

Après sa septième année, elle encadra son diplôme et le plaça sur un mur de sa chambre. Elle se disait alors : « Je suis assez instruite ». Elle travailla avec son père à la boutique.

 

Alors qu’elle avait 19 ans, elle eut la surprise d’accueillir un cavalier. Il s’appelait Théodore Dubord. Il était du même âge qu’elle et était fils de cultivateur. C’était un garçon d’un physique agréable et il aimait les nouveautés. Elle fut rapidement séduite.

 

Les trois frères et la sœur de Théodore avaient quitté la maison familiale pour aller travailler dans les usines du Vermont, ville industrielle des États-Unis. La rumeur était alors à l’effet que leur père les avait maltraités, leur demandant des surcharges de travail hors de leur capacité et y allant jusqu’à des punitions physiques. À voir et à entendre Théodore, personne n’aurait cru qu’il avait dû subir le même sort. En réalité, étant le cadet de la famille, il avait été surprotégé par son père. Ce dernier lui avait promis de lui léguer la terre paternelle quand il se marierait.

 

Chaque samedi soir, Théodore se présentait chez la jeune fille. Ils se racontaient les derniers événements de la paroisse. Laurette ne cessait de poser des questions. De plus, le jeune homme aimait bien parler de ses dernières inventions. Une fois, il raconta qu’il avait mis au point un marteau sans manche. Laurette était sidérée. Elle voulut en connaître les détails, mais c’était peine perdue. Une autre fois, il mentionna qu’il avait inventé une trayeuse à lait actionnée par des batteries.

 

« Ma meilleure invention, disait Théodore, est celle de la poudre à vers de terre. Je répands cette poudre sur une petite superficie de la terre de mon père. Vingt-quatre heures plus tard, le sol grouille de vers. Je les ramasse à la main. Je les vends alors aux touristes pour deux sous le ver ».

 

Au début, Laurette était ébahie de son talent d’inventeur. Toutefois, peu à peu, elle se mit à penser qu’il était meilleur pour inventer des menteries. Elle se désintéressa alors de la volubilité du jeune homme. En même temps, Théodore devint tanné des racontars que sa dulcinée lui faisait subir.

 

Après trois ans de fréquentation, un bon samedi, Théodore arriva chez la jeune fille avec une boîte de chocolats soigneusement emballée. Quelle ne fut pas sa surprise de voir six objets de la grosseur et de la forme d’œufs. Ces objets placés dans une vraie boîte de chocolats avaient une teinte brune. Laurette demanda ce que c’était :

- Comme c’est la dernière fois qu’on se voit, de répondre Théodore, j’ai pensé t’apporter des œufs mécanisés. Dans deux semaines, c’est Pâques. Tu verras alors de petits poussins fracasser la coquille et en sortir en te disant : « Joyeuses Pâques ».

- C’est insensé, de répondre Laurette outrée, garde-les tes œufs. Je n’en veux pas. Je ne veux plus de toi aussi. Tu peux retourner à tes lubies chez toi.

 

C’est ainsi que se terminèrent trois ans de fréquentation oscillant entre le placotage et les inventions. Malgré tout, Laurette en tira une leçon assez incongrue : « À l’avenir, se dit-elle, je vais inventer des histoires. Ma cible préférée sera le beau Théodore et son père ».

 

Quelques mois plus tard, quelle ne fut pas la surprise de Laurette d’accueillir à la boutique une ancienne compagne d’école, la pimpante et curieuse Athalie. Après un retour sur des souvenirs d’enfance, Athalie invita son amie à venir la visiter. « J’ai trois enfants, dit-elle. Je sors rarement de la maison. Ce serait formidable qu’on puisse placoter plus longuement. Tu serais surprise de connaître tout ce que je sais sur le curé et les haut placés de la paroisse ».

 

Il n’en fallait pas plus pour que Laurette se lance dans une série de visites chez son amie. On l’imagine, la conversation était toujours animée et était truffée d’anecdotes succulentes. Laurette, de par sa mémoire toujours aussi vive, se mit à apprendre par cœur tous les prénoms des enfants de la paroisse. Elle pouvait défiler par ordre de naissance les prénoms d’une famille de plusieurs enfants. Quand on voulait faire baptiser un enfant et qu’il y avait plusieurs familles de même patronyme dans la paroisse, certains parents appelaient Laurette pour savoir si ce prénom avait déjà été donné.

 

Il y avait toujours un moment réservé au père Dubord. Aux punitions physiques, s’ajoutaient maintenant le braconnage et ses chicanes avec les voisins. Pourquoi ne pas insinuer qu’il avait commis une agression sexuelle envers sa propre fille ?

 

Maintenant, le père Dubord demeurait au village. Il avait cédé sa terre à son fils Théodore et vivait de ses maigres rentes. Un jour, alors qu’il passait par les maisons pour offrir un abonnement à la revue Messager du Sacré-Cœur, il aboutit chez Athalie. Celle-ci lui raconta de façon romancée tous les secrets que sa bonne amie lui avait confiés à son sujet. Il n’en revenait pas :

- C’est un tissu de mensonges, répondit-il. Je ne savais pas qu’elle venait chez toi aussi souvent. Je la voyais passer surtout l’après-midi et je me demandais pourquoi elle n’était pas à son travail.

- Je ne vous ai pas tout dit, répliqua-t-elle.

- J’ai une idée, de reprendre le père Dubord. Serait-ce trop vous demander de me téléphoner quand elle vous quittera pour retourner chez elle ?

- Si vous voulez, je pourrais aussi vous appeler quand elle quittera la boutique de son père. Elle me téléphone toujours avant de partir.

- J’aimerais bien cela.

 

Quand Laurette allait visiter son amie, elle devait passer devant le logis du vieillard. Celui-ci était très souvent sur la galerie. Quand elle revenait, il était encore là à la regarder d’une façon maligne. Les premiers jours, elle pensa qu’il s’agissait d’un hasard. Avec le temps, elle commença à s’interroger. D’autant plus qu’il n’était pas là quand, certains matins, elle allait à la messe.

 

De temps à autre, le père Dubord l’invitait à venir lui parler par un signe de doigt. Elle accélérait alors le pas.

 

Laurette parla de cette curieuse situation à son amie. Celle-ci rétorqua :

- Ça doit être son fils, ton beau Théodore, qui a inventé un appareil visant à suivre tes propres mouvements. S’il a été capable d’inventer un marteau sans manche, il est sûrement capable d’inventer un système de communications sans fil.

- Ne me dis pas des choses de même. Tu me fais peur. Théodore n’a pas le génie que tu crois.

- À ta place, je surveillerais tous tes clients pour voir s’ils n’ont pas en poche ou dans leur sacoche un objet mystérieux.

 

Laurette quitta la maison de sa copine le cœur charcuté. « Si c’était vrai, pensa-t-elle, ce qu’Athalie m’a dit ». Le fait semblait se confirmer parce qu’il arrivait que d’autres hommes soient sur leur galerie quand elle passait. Elle était certaine que ceux-ci l’espionnaient. Elle se confia de nouveau à son amie. Celle-ci lui dit :

- As-tu remarqué que le regard de ceux dont tu as inventé des histoires était plus méprisant ?

- Je ne pense pas, répondit-elle. Ils ont tous des regards menaçants.

 

Laurette ne savait pas que son amie avait fait un pacte avec le père Dubord. De plus, elle était incapable d’imaginer une telle situation. Plus les jours passaient, son jugement fléchissait et elle se sentait épiée partout où elle allait. La nuit, elle faisait des rêves où des démons la pourchassaient avec de longues fourches. Elle se réveillait et faisait des crises d’anxiété. Sa mère allait la trouver et tentait de la réconforter, mais rien n’y faisait.

 

Un jour, à la boutique, elle demanda à une dame dont elle se méfiait d’ouvrir sa sacoche. La femme acquiesça. Laurette se mit à éparpiller les menus objets sur le comptoir. Sur les entrefaites, son père sortit de l’arrière-boutique. Il lui demanda ce qui se passait. Nerveuse et gênée, elle répondit : « Je pensais qu’elle m’espionnait ».

 

Le père était stupéfait. Antérieurement, il avait remarqué que sa fille était souvent incohérente et faisait des erreurs de calculs. Là, c’en était trop. Il ne pouvait pas tolérer qu’elle soit méprisante à l’égard des clients. Il lui intima de ne plus remettre les pieds dans sa boutique.

 

Lors d’une confession, Laurette raconta au curé toutes les épreuves qu’elle devait subir. Celui-ci lui dit : « D’habitude, je donne une pénitence à la personne repentie. Dans votre cas, c’est moi qui m’attribue une pénitence. Je vais lire mon bréviaire à votre intention pendant une semaine et je vais dire un rosaire ».

 

Le sujet du jour dans la paroisse : Laurette et ses hallucinations. C’était d’autant plus vrai que son propre père l’avait congédiée. Le père Dubord, lui aussi, se réjouissait d’avoir utilisé un moyen pacifique, mais efficace. Athalie qui avait suivi de près toute l’affaire jubilait de joie.

 

Les crises d’angoisse augmentaient en nombre et en intensité. Sur l’avis du médecin de famille, ses parents décidèrent de la faire interner dans un hôpital psychiatrique.

 

Pourquoi Athalie avait-elle trahi de la sorte sa prétendue meilleure amie ? Cela s’était passé dans la cour d’école quand toutes deux avaient 10 ans. Un des souliers d’Athalie était percé. Laurette s’est mis à rire d’elle. Sous son instigation, les jeunes filles de la classe ont scandé : « Soulier percé, panier percé ». L’humiliation fut telle pour Athalie qu’elle en est restée traumatisée. Elle avait alors décidé de se venger quand l’occasion s’y prêterait.

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# 3325                 25 décembre 2016

La crèche de Noël

Dans une étable de Bethléem, une dizaine d’animaux attendaient le messie, c’est-à-dire le printemps pour aller gambader dans la nature.

 

Un bœuf appelé Noël s’approcha d’un âne qu’on surnommait Sapin.

- Comment as-tu pu quitter ta crèche, s’enquiert Sapin ?

- L’intendant de mon maître m’a détaché, de reprendre Noël. Il a accueilli un couple : Joseph et Marie. La femme est en train d’accoucher dans ma crèche.

- Vraiment ? Dans ta crèche ?

- Ils sont pauvres. Ils n’ont pas de toit. Personne n’a accepté de les héberger pour la nuit. Écoute. Par ses cris, la femme est en délivrance.

- Je n’ai jamais été témoin d’une pareille situation.

- Moi non plus.

 

Les deux nouveaux amis gardèrent quelques minutes de silence. L’âne reprit :

- Je viens de recevoir un texto de la part du maître. L’enfant est né et il s’appellera Jésus. L’intendant va me détacher et avec toi, le maître veut que nous allions réchauffer le nouveau-né.

- Y as-tu pensé, mon beau Sapin ? Moi Noël, je vais devenir célèbre. Dans l’avenir, on parlera de ma crèche, la crèche de Noël. Texte un blogueur pour qu’il vienne et qu’il puisse annoncer la Bonne Nouvelle. Ainsi, on parlera de moi.

 

Sapin et Noël s’empressèrent de rejoindre l’enfant. Bientôt, l’âne reçut un nouveau texto qu’il fit lire au bœuf :

- Nous sommes trois rois mages, Melchior, Gaspard et Balthazar. Les astres par leur alignement nous ont informés qu’un messie venait de naître. Nous avons un GPS et nous nous dirigeons vers l’étable où vous êtes. Nous apporterons au nouveau-né de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Nous pensons arriver dans quelques jours.

 

À ce moment, on cogna à la porte. C’étaient deux bergers.

- Nous venons réchauffer l’enfant, dirent-ils. Ce n’est pas un enfant comme les autres.

 

Quelques instants plus tard, l’âne bafouilla :

- As-tu vu qui est derrière nous ?

 

Le bœuf se retourna :

- Mais ce sont des anges du ciel. Il se passe sûrement un événement hors de l’ordinaire.

- Je n’aurais pas dû communiquer avec un blogueur, de reprendre l’âne. Je vais envoyer un texto au maître pour lui demander de placer des blocs de béton devant l’étable. On ne sait jamais. Peut-on faire confiance aux rois mages ? Bien plus, des terroristes pourraient venir tuer l’enfant. Notre vie est en danger.

 

C’est ainsi que Jésus fit son apparition sur terre. Il n’était pas au bout de ses peines.

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# 3235                 19 novembre 2016

La dernière messe

Le premier colon qui s’aventura dans les concessions de Sainte-Épinette était Tobie Bienaimé. On était en 1889. Tobie avait 31 ans. Il était marié depuis 10 ans et il vivotait sur les deux arpents de terre que son père lui avait donnés à même son bien. Il avait déjà six enfants et il rêvait d’une grosse famille.

 

Un jour, il pensa qu’il était temps de changer le cours de sa vie. Il alla consulter le notaire de la ville voisine lui disant qu’il voulait obtenir un lot en bois debout. Celui-ci l’informa que le premier ministre Honoré Mercier avait créé un ministère de la Colonisation dont il était lui-même titulaire et que le curé Antoine Labelle en était le sous-ministre. Il ajouta : « La Seigneurie-des-Bois a conclu des ententes avec le Ministère. Des lots non défrichés sont disponibles au sud du sixième rang de Sainte-Épinette à de bonnes conditions. »

 

Pour favoriser la colonisation, le Gouvernement subventionnait l’achat de terres en garantissant l’étalement de paiement. Pour une terre de 10 arpents, en exceptant la première année, l’acquéreur devait s’engager à payer 100 dollars par année pendant 10 ans. Une condition importante s’appliquait. Le colon devait commencer à ensemencer à partir de la deuxième année.

 

Tobie était ravi de ce plan. Le notaire lui promit de faire toutes les démarches nécessaires. En juillet 1889, notre homme était propriétaire d’une terre boisée de 10 arpents au septième rang de Sainte-Épinette.

 

Il vendit le lopin de terre obtenu de son père à un de ses frères. Armé d’un sac de couchage fabriqué par sa femme, d’une hache et d’une scie, il parcourut à pied la distance qui séparait le sixième et le septième rang. Arrivé sur son lot, il se mit à genoux, les bras en croix. Pointant le ciel, il remercia son Dieu de lui avoir donné ce trésor.

 

Tobie était-il naïf ou irréfléchi ? Pas du tout. Il savait qu’il aurait à subir des mois de privation de toute sorte pour mener à terme son projet. Les premières nuits, il coucha caché sous les épinettes. Pendant ce temps, il se construisit une cabane rustique qui aurait mieux convenu à un renard qu’à un homme. Le tout était composé de pièces de bois superposées et enchevêtrées avec un toit plat.

 

En septembre, un homme vint rencontrer Tobie, lui annonçant qu’il était inspecteur de la colonisation et qu’une route serait construite dès l’été prochain pour joindre le rang 7 de Sainte-Épinette. Une autre route, transversale celle-là, était prévue. Elle traverserait toutes les terres du rang 7 afin d’attirer de nouveaux colons. Notre homme jubilait. Il avait lu le roman d’Antoine Gérin-Lajoie intitulé Jean Rivard, le défricheur. Il réalisait que sa situation serait beaucoup plus facile que celle de Rivard.

 

Deux ans plus tard, sa femme et ses enfants vinrent demeurer de façon permanente dans une maison rustique, mais très habitable, d’autant plus qu’un poêle tout neuf trônait dans la cuisine. Cet appareil qui servait au chauffage et à la cuisson des aliments était un bonheur pour la femme au foyer, mais aussi pour tous les membres d’une famille. Pendant l’hiver, les veillées autour du poêle qui répand sa chaleur étaient très agréables pour la jeune famille de Tobie.

 

Les années passèrent. D’autres colons achetèrent des terres dans le rang 8, puis dans les rangs 9 et 10. Les gens pensèrent qu’il était temps de se dissocier de Sainte-Épinette. Une délégation se rendit au presbytère de ce lieu pour que le curé demande à l’évêque de désigner les rangs 7 à 10 comme faisant partie d’une nouvelle paroisse. Ils suggérèrent le nom de Saint-Tobie. Un an plus tard, ils apprirent que l’évêque avait acquiescé en partie à leur demande. La nouvelle paroisse s’appellera Saint-Sapin. Le dignitaire ecclésiastique avait écrit : « Le sapin et l’épinette sont des membres d’une même famille, les conifères. Les gens de Saint-Sapin et de Sainte-Épinette devront se côtoyer longtemps et n’auront pas le choix que de vivre paisiblement ensemble. »

 

L’évêque délégua comme desservant le curé de Sainte-Épinette. Ce dernier proposa aux chefs de famille de bâtir une chapelle. Des dissensions apparurent sur l’emplacement du bâtiment. Tobie se contenta d’être spectateur. Au besoin, il intervenait pour calmer certains récalcitrants, mais pas plus. La chapelle fut construite au centre du rang 7.

 

Après quelques années, un curé résident fut nommé. Il fallait une église. De nouvelles dissensions virent le jour. Les uns voulaient la placer tout près de la chapelle, les autres préféraient un emplacement au rang 8, soit plus au centre de la paroisse. Finalement, l’évêque trancha en faveur du rang 8.

 

Les années passèrent. La paroisse s’enrichissait de temps à autre de petits commerces et de petites entreprises. À peu près tous les services dont les gens avaient besoin étaient offerts dans la localité. Les gens n’étaient pas riches, mais ils vivaient agréablement mêlant les festivités d’été et d’hiver avec des événements tragiques.

 

La foi des gens envers l’Église catholique était soutenue par des curés, parfois insoucieux, parfois zélés. La morale était souvent l’objet de leur préoccupation prétextant qu’un peuple moralement sain a plus de chances de s’épanouir. Il ne fallait pas aussi oublier le ciel, l’ultime récompense pour les croyants.

 

Le maire et les conseillers étaient un peu en retrait. Ils veillaient à procurer des services à la communauté, tout en sachant que le curé les surveillait de près.

 

À partir des années 1960, tout a changé au Québec. Un vent de fraîcheur se mit à dépoussiérer tranquillement les institutions. Saint-Sapin fut touchée comme partout ailleurs. Les gens ont délaissé peu à peu les messes dominicales. L’influence du curé s’amenuisa. Le conseil municipal, maintenant régi par des règles strictes de la part du Gouvernement, fut obligé de prendre de nouvelles responsabilités et d’avoir moins besoin de l’Église. En même temps, le nombre de cultivateurs diminuait.

 

Au début des années 2000, le presbytère fut vendu pour en faire une résidence destinée aux personnes aînées. Ce qui avait pris des dizaines d’années à mettre en place s’écroulait. Si Tobie et ses amis avaient pu voir ce qui se passait maintenant, ils auraient été scandalisés. Plus encore, ils auraient été choqués du fait que tranquillement on détruisait ce qu’ils avaient bâti à la force de leur bras et à la sueur de leur front. Auraient-ils pu comprendre que cent ans plus tôt, il y avait 108 cultivateurs à Saint-Sapin et qu’il n’en restait que six ? Imaginez, 102 de moins. La liste des fermetures de commerces et de petites entreprises est trop longue pour en faire une énumération.

 

Les gens se disaient : « Heureusement qu’il nous reste l’église. » Mais bientôt, incapables de défrayer les coûts d’entretien et d’entreprendre des réparations, les membres de la fabrique suggérèrent à l’évêque de vendre le bâtiment. C’est la même église qui avait été construite dans la décennie 1910 et maintenant on voulait la soustraire à la foi des fidèles. Les gens ne réussissaient pas à comprendre, l’émotion prenant toute la place. Quand les paroissiens apprirent que le montant de la vente servirait à payer les dettes de la fabrique, cela les soulagea. Mais quand ils surent que le complément irait à l’archevêché, ce fut toute une commotion. « Wow, les moteurs, disaient certains, ce sont nous les paroissiens qui avons, pendant plus de 100 ans, soutenu ce temple par nos deniers et voilà qu’on nous vole, ni plus ni moins. »

 

Même si de plus en plus de gens refusaient de payer leur capitation, ils se disaient : « Un symbole, ça n’a pas de prix. » En même temps, la fréquentation de l’église lors des messes diminuait. Cela peut paraître paradoxal et, en réalité, ce l’est, mais les gens tenaient à ce que les baptêmes, les mariages et les services funèbres aient lieu dans ce bâtiment sacré, comme cela avait été pour leurs ancêtres.

 

C’est la municipalité qui acheta l’église en permettant que les cérémonies religieuses s’y déroulent comme à l’habitude. L’évêque nomma alors un desservant, tout comme au début de la paroisse. La commotion s’atténua peu à peu. La vie continuait.

 

Cinq ans plus tard, un choc brutal attendait les paroissiens. L’évêque avait décidé de dissoudre la fabrique, de retirer le prêtre et de ne plus offrir de services religieux dans l’église. Cette fois, la réaction des gens fut moins dramatique car ils s’y en attendaient. Ils acceptèrent la situation en maugréant, mais pas plus. Il était prévu que le 1er juillet était la date fatidique de fermeture de la paroisse.

 

Un comité fut formé pour célébrer de façon grandiose la dernière messe sur le sol de Saint-Sapin. Le slogan était : « Nous n’en mourrons pas. » La cérémonie devait avoir lieu à 10 heures le 1er juillet. Le comité invita l’évêque, mais ce dernier prétexta d’autres occupations. En réalité, il était gêné d’avoir pris cette décision historique.

 

Vers neuf heures, les gens devaient se rassembler sur le parvis de l’église. L’habillement avait soigneusement été édicté. Les femmes et les jeunes filles devaient porter une robe blanche, en plus, les femmes une cravate noire et les jeunes filles une boucle noire. Les hommes et les jeunes garçons devaient porter un habit noir, en plus, les hommes une cravate blanche et les jeunes garçons une boucle blanche.

 

On avait construit un autel artisanal à environ 200 mètres de l’église près de la forêt adossée à une montagne, forêt qui peu à peu avait envahi les terres agricoles. Beau temps, mauvais temps, une procession similaire à celle de la Fête-Dieu d’autrefois devait parcourir la distance entre l’église et l’autel.

 

Le 1er juillet, la procession se mit en marche. Des cantiques d’autrefois agrémentaient le parcours. Quelques femmes âgées avaient apporté leur chapelet et récitaient en silence des Ave. Le cœur n’était pas à la fête, mais un observateur qui aurait vu passer le cortège aurait cru le contraire.

 

Presque tous les Sapinois, soit environ 300, avaient tenu à marcher vers l’autel. Le desservant sous un immense dais fermait la marche en portant un ostensoir. Heureusement, la température était idéale. On aurait dit que le ciel était devenu un complice de la fête.

 

La messe devait se dérouler en partie en latin. L’évêque avait accepté cet accroc à la liturgie. Le prêtre commença comme autrefois par Introibo ad altari Dei (Je monterai à l’autel de Dieu). Certains paroissiens étaient admiratifs et étaient ramenés à des souvenirs d’enfance. Des cantiques anciens couronnaient le tout. Parvenu à l’homélie, le desservant dit : « Mes amis, aujourd’hui est peut-être un moment douloureux, la paroisse cesse de vivre. Toutefois, vous serez bienvenus à l’église de Sainte-Épinette. En même temps, la municipalité continuera à vous desservir. »

 

À peine ses paroles avaient-elles été prononcées qu’on entendit des cris venant de la forêt en arrière. Le desservant inquiet arrêta net. On vit sortir du bois trois hommes habillés en démons armés de fourches. Ils kidnappèrent le prêtre et l’amenèrent en forêt. Les gens étaient estomaqués. « Que se passe-t-il, se disaient-ils ? ».

 

Le prêtre parti, le pro maire monta sur l’estrade : « Mes amis, dit-il, je ne reconnais pas les gens de Saint-Sapin qui viennent de poser un geste honteux et sacrilège. Demandons aux anges du ciel qu’ils délivrent notre desservant pour lui permettre au moins de terminer la messe. »

 

Les gens frémissaient. Certains futés pensaient qu’il s’agissait d’un coup monté en bonne camaraderie, mais ils n’en étaient pas sûrs. Au même moment, trois femmes habillées en anges et sortant de la forêt escortèrent la mairesse vers l’estrade. « Mais, où est le prêtre, se disaient les Sapinois ? »

 

La mairesse monta sur l’estrade et dit : « Chers concitoyens, soyez sans crainte, nous prenons la relève ». On vit alors le prêtre sortir de la forêt, accompagné de deux enfants de chœur qui s’étaient sauvés sans qu’à peu près personne ne s’en soit aperçu.

 

Le reste de la cérémonie se passa dans une attitude plutôt distraite. Les organisateurs avaient réussi de façon impeccable leur scénario. Aujourd’hui, les Sapinois se rappellent ce coup d’éclat. Ils en sont très fiers. La mise en scène pourtant dramatique avait réussi à dédramatiser la situation.

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# 3185                 30 octobre 2016

Le Bonhomme Sept Heures

On était en 1948. Dans son prône, le nouveau curé de Saint-Després,  Euchariste Bouleau, invita tous les paroissiens à une réunion sur l’éducation des enfants le jeudi suivant. L’abbé en était à sa première cure. Auparavant, il avait été professeur de philosophie au Séminaire diocésain. Il faut croire qu’il n’était pas très apprécié, car il perdit son poste après trois ans, lui qui avait fait des études philosophiques aussi loin qu’à Rome.

 

Lors de la rencontre, le curé commença en disant : « Quand j’enseignais la philosophie au Séminaire, je disais à mes élèves que l’homme est doué d’un corps et d’une âme. Je m’amusais à leur dire qu’en parlant de l’homme j’embrassais les femmes ». Dans l’assistance, les gens ne savaient pas s’ils devaient rire. Il n’y eut aucune réaction. Le curé était déçu. Cette phrase, qu’il redisait chaque année à ses élèves, déclenchait alors un éclat de rire général.

 

Il continua : « Parlons du rôle des parents. Ceux-ci devraient-ils s’assurer que les enfants aient une dose suffisante de sommeil ? Qu’en pensez-vous ? ». Une dame se leva et dit : « Oui, je pense que c’est la chose la plus importante. Quand l’enfant dort suffisamment, il est plus attentif à l’école ». Ambroise Duterre, accompagné de sa femme Laurette, se leva et d’une voix autoritaire dit : « Moi, j’ai un truc efficace. Chez nous, les enfants de moins de 12 ans se couchent à 7 heures. Quand ils veulent retarder l’échéance, je leur parle du Bonhomme Sept Heures qui pourrait les enlever et les amener en forêt pour les torturer. Vous pouvez me croire, monsieur le curé, ça marche ».

 

Le curé approuva l’intervention en disant : « Quand j’enseignais la philosophie au Séminaire, je disais à mes élèves que la meilleure façon de faire croître l’enfant, c’est de l’encadrer dans ses moindres mouvements. Ils ne sont responsables de rien. »

 

Puis, sortant un papier de sa poche, il lut : « Le repos et le sommeil sont des besoins naturels. Dormir constitue une période de revitalisation. C’est l’occasion de libérer les toxines qui empoisonnent le corps et l’esprit. »

 

Les gens n’en revenaient pas. Les paroles du curé ne les rejoignaient pas. Plusieurs regrettèrent d’avoir accepté son invitation. La discussion continua de façon laborieuse. L’enthousiasme du début avait pris le bord. Les participants quittèrent la salle un à un.

 

Ambroise, dit maintenant le Bonhomme Sept Heures, était marié depuis 18 ans. Il avait huit enfants : quatre garçons et quatre filles. La plus vieille Dorothée avait 16 ans et le plus vieux Octave, 14 ans. Au deuxième étage de la maison, il y avait quatre chambres : deux pour les filles et deux pour les garçons. Chaque chambre était occupée par deux enfants du même sexe.

 

Laurette, sa femme, n’avait pas la langue dans sa poche. Elle n’avait peur de personne. Elle passait souvent à l’offensive et ripostait aux propos désagréables des autres de façon agressive. Un matin, son mari s’est montré aux enfants avec un œil au beurre noir. Leur fils Octave était un garçon perspicace et articulé qui réussissait bien à l’école. Il comprit ce qui s’était passé. Quelques jours après la réunion du curé, un jeune de l’école s’approcha de lui en le narguant :

- Salut le petit Bonhomme Sept Heures.

- Pourquoi tu dis ça, de répondre Octave ?

- Dans le rang, les gens disent que ton père est le Bonhomme Sept Heures.

- Je n’ai jamais entendu dire ça.

 

Un autre élève s’approcha d’Octave et répéta la même phrase :

- Salut le petit Bonhomme Sept Heures.

- Ne redis jamais ça devant moi, de riposter Octave. Je vais t’étamper dans le mur.

 

L’institutrice ayant été témoin de la scène intervint : « Octave, tu es en retenue après l’école ». Octave ne comprenait rien. Quand les élèves furent partis, le jeune garçon dit à la maîtresse d’école :

- C’est quoi cette histoire ?

- Lors de la réunion avec le curé, ton père a dit qu’il vous faisait peur avec ce bonhomme quand c’était le temps d’aller vous coucher.

- C’est complètement faux, de répondre Octave. Mon père parle très peu. Quand c’est le temps qu’on se couche, il montre son index. Plus encore, quand mon père est à la maison, il nous interdit de parler. Si on enfreint son règlement, il montre son pouce et le silence se fait.

- Et ta mère ?

- Ma mère passe son temps à boire en cachette. On dirait qu’elle ne nous aime pas. Souvent, le matin, elle reste couchée. Moi ou ma sœur Dorothée, on est obligé de faire cuire le gruau pour les jeunes. Bien plus, ma mère s’en prend physiquement à mon père.

- Voyons, Octave. Tu sais bien qu’aucune femme ne porte des coups à son mari. C’est le contraire qui se produit

- Je vous jure, mademoiselle, que c’est la pure vérité. Il va falloir que quelqu’un nous aide. C’est l’enfer à la maison. J’ai peur qu’un malheur arrive.

- C’est bien, Octave. Tu peux quitter.

 

L’institutrice était impressionnée par les propos d’Octave. Elle ne savait vraiment pas comment réagir. « Si c’est vrai ce qu’il dit, pensa-t-elle, il y a là un problème majeur. Malgré tout, j’aurais plutôt tendance à le croire ».

 

Au bout de quelques semaines, un soir, Octave qui dormait entendit des bruits suspects dans la cuisine. Des cris fusaient. Des objets semblaient frapper les murs. Il ne savait pas quoi faire. Il se dit : « Ma mère a encore bu et elle chicane mon père. »

 

Quelques jours plus tard, le père annonça aux enfants que désormais Dorothée coucherait seule dans sa chambre. Celle-ci semblait heureuse, mais on pouvait discerner un brin d’inquiétude dans ses yeux. De temps à autre, Octave entendait des gémissements dans la chambre de sa sœur.

 

Octave n’appréciait pas que sa mère se couche en fin d’après-midi. Quand c’était le cas, son père qui rarement s’exprimait lui disait : « Je vais faire le train à l’étable avec Dorothée. Toi, garde la maison au cas où ta mère aurait besoin de toi. Les enfants doivent demeurer dans la maison ». Un jour, après une quinzaine de minutes, le jeune garçon entendit les vaches beugler dans l’étable. De toute évidence, elles attendaient la traite. Octave décida de s’y rendre. Il ne vit personne. Il entendit des ronronnements dans la bergerie. Il retourna à la maison.

 

Octave fut quelques nuits sans dormir. Il savait très bien ce qui se passait. Il décida d’aller voir le curé.

- Monsieur le curé, dit-il, mes parents se chicanent tout le temps. J’ai peur que ça finisse mal.

- Quand j’enseignais la philosophie au Séminaire, de répondre le prêtre, je disais à mes élèves que chaque personne jouit du libre arbitre. Tes parents sont responsables de leurs actes et tu n’as pas à contrecarrer leur volonté.

- Que dois-je faire alors ?

- Retourne chez toi et ne viens pas m’importuner avec tes balivernes.

- Je crains que mon père fornique avec ma sœur.

- Où as-tu appris ce mot-là : forniquer ?

- C’est un de mes oncles qui me l’a appris. Je sais ce que cela veut dire. Mon oncle m’a tout expliqué.

- Quand j’enseignais la philosophie au Séminaire, de répondre le prêtre, je disais à mes élèves …

- Écoutez, monsieur le curé, laissez tomber la philosophie. Je vous parle d’une réalité.

- Mon enfant, tu ne comprends rien. Retourne chez toi. Va voir ton oncle qui est si savant.

 

Les mois passèrent. Octave parla de la situation familiale à son oncle qui ne voulut pas intervenir. Avec le temps, le jeune garçon remarqua que sa sœur Dorothée avait un ventre proéminent. Il comprit pourquoi, mais il ne connaissait personne d’autres à qui se confier.

 

Un bon matin, le bonhomme s’adressa à Octave :

- Ta mère a préparé un goûter. Tu vas aller aux fraises. Tu emmènes tes frères et sœurs.

- Mais, de rétorquer Octave, la petite dernière n’a que cinq ans.

- Débrouille-toi avec cela.

 

À leur retour, un enfant pleurait dans la chambre de sa mère qui était alitée. Celle-ci lui montra le bébé naissant et l’informa que Dorothée avait eu une indigestion et qu’elle ne pouvait pas se lever. En désespoir de cause, Octave enfourcha sa bicyclette et retourna voir le prêtre :

- Monsieur le curé, dit-il, ma sœur Dorothée a eu un enfant de mon père. Ma mère prétend que c’est le sien. C’est faux. Vous ne pouvez pas inscrire dans les registres son nom comme étant la mère du bébé. Ce serait mentir de votre part. Cet enfant n’est pas mon frère.

- Quand j’enseignais la philosophie au Séminaire, de répondre le prêtre, …

- Monsieur le curé, vous radotez.

 

Octave quitta précipitamment le presbytère. Il se réfugia chez son oncle. Il lui demanda de l’héberger : « Je veux bien, de répondre l’oncle. Il faut que j’en parle à ton père. »

 

Octave demeura trois ans chez cet oncle qui l’avait accueilli en échange de participer aux travaux de sa ferme. À 19 ans, réalisant que sa vie tournait en rond, il s’en alla à Montréal avec 100 $ que son oncle lui avait donnés. Rendu dans cette ville qui l’impressionnait au plus haut point, il loua une petite chambre. Il lut dans un journal de quartier qu’une maison pour femmes battues cherchait une intervenante. Il s’y rendit :

- Je voudrais, dit-il, obtenir le poste que vous avez annoncé.

- Tu me sembles trop jeune, reprit la directrice. De plus, nous cherchons une femme et non un homme. As-tu des diplômes ?

- C’est vrai que je suis jeune. Je n’ai que 19 ans, mais j’ai vécu dans la violence à la maison. Mon père que les gens de la paroisse appellent le Bonhomme Sept Heures était très autoritaire avec ses enfants. Il nous menait au doigt et à l’œil au sens propre de l’expression. Ma mère qui était alcoolique se souciait très peu de nous. Elle était soumise à son mari en même temps qu’elle le battait. J’ai lu au moins deux fois le livre de Pierre Daco Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne. C’est un livre de plus de 500 pages. J’en ai appris des extraits par cœur. J’ai compris le lien qui unissait ou divisait deux conjoints.

- Jeune homme, soyez prudent. Thomas d’Aquin disait : « Timeo hominem unius libri », ce qui veut dire : « Je crains l’homme d’un seul livre ». Par ailleurs, pensez-vous vraiment qu’une femme battue serait intéressée à se confier à un homme ?

- J’en suis persuadé si on adopte une approche empathique et une écoute attentive. Je vous demande seulement de faire un essai d’un mois avec moi et ce, bénévolement. Si vous n’êtes pas satisfaite de mon approche, j’irai ailleurs.

- D’accord pour un essai d’un mois.

 

Au bout de cette période, Octave fut embauché. Étant le seul homme de la maison d’accueil à dispenser des services, il y avait apporté un vent de fraîcheur. Lorsqu’on donnait le choix entre un conseiller masculin ou féminin, certaines femmes, ayant entendu parler d’Octave, optaient pour lui à cause en partie de son empathie naturelle et de sa compréhension face aux événements qu’on lui relatait.

 

Dix ans plus tard, Octave fonda sa propre maison d’accueil. Elle était destinée aux hommes et était la première du genre à Montréal. Le jeune Bonhomme Sept Heures n’aurait jamais pensé, lorsqu’il faisait les foins avec son père, qu’un jour il serait un pionnier dans ce domaine.

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# 3135                 10 octobre 2016

Passion d’école

Bientôt, une nouvelle année scolaire allait commencer. Simon, qu’on appelait Sim, avait 13 ans. Il montait en septième année et avait toujours eu d’excellentes notes. Son père était cultivateur au rang 4. Il devait travailler fort de ses bras pour nourrir ses huit enfants. Toutefois, il se consolait quand il voyait Sim dévorer les livres que l’inspecteur d’écoles lui donnait lors de sa visite annuelle. « Il va gagner sa vie mieux que moi, se disait-il ? Une plume, c’est moins pesant qu’une masse. »

 

De la maison à l’école, une distance d’un kilomètre, il y avait un seul autre élève. Son nom était Zacharie. Il avait alors 15 ans, deux ans de plus que Sim. Les relations entre les deux garçons étaient plutôt tièdes.

 

Zacharie était un jeune intelligent, mais il n’aimait pas l’école. Il ne faisait aucun effort pour réussir. Il bâclait devoirs et leçons. Il avait échoué sa deuxième et sa quatrième année. À 15 ans, il devait commencer sa sixième année. Son père lui avait dit : « Mon gars, tu devrais travailler plus fort. Même si ça te prend 10 ans, il faut que tu obtiennes ton certificat de septième année. » Zacharie en riait et il se disait : « Le père, yé capoté ».

 

Le 5 septembre arriva. Une nouvelle institutrice se pointa à l’école du rang. Elle s’appelait Angèle et elle avait 18 ans. Zacharie tomba en pamoison : une fille svelte aux grands cheveux noirs et aux yeux étincelants, avec un petit air ratoureux. C’est tout ce qu’il fallait pour éveiller ses sens jusque-là plutôt muets.

 

Zacharie confia sa passion naissante à Sim. Lui aussi, en voyant Angèle, avait ressenti un malaise intérieur ou peut-être mieux un bien-être intérieur. Il ne le savait pas trop.

 

Trois semaines plus tard, Zacharie tendit un billet à Sim. En voyant des cercles qui indiquaient des fautes, Sim comprit que ce billet avait été remis à l’institutrice et dit :

- Tu n’as pas fait ça, Zacharie ? Tu as du front plus que je pensais.

- Bien sûr que je l’ai fait. Je suis un peu déçu. Elle m’a retourné le billet dans mon cahier d’exercices sans faire aucun commentaire. J’aurais aimé qu’elle applaudisse à mon geste, mais au moins elle ne m’a pas repoussé.

 

Que disait le billet ? En voici la transcription en ne retenant pas les fautes :

« Chère mademoiselle Angèle,

Quand tu es loin de moi, mon cœur gèle.

Quand tu es près de moi, mon cœur dégèle.

Zacharie, un élève fidèle »

 

De temps à autre, Zacharie glissait des mots doux sur le bureau de l’institutrice. Maintenant, il prenait la précaution de faire lire le message par son ami pour que ce dernier puisse corriger les fautes. Angèle lui retournait le texte sans commentaire. L’espoir de Zacharie grandissait, mais, certaines nuits, le désespoir le rattrapait. Il se demandait pourquoi Angèle ne disait mot. Il savait que certaines institutrices auraient simplement déchiré les messages devant les yeux du soupirant, mais rien de cela ne s’était produit.

 

À la fin de l’année scolaire, Angèle demanda à Zacharie de rester après l’école. Cela le rendit nerveux. L’institutrice lui dit :

- Zacharie, tes notes ne sont pas suffisantes pour que je t’accorde une promotion en septième année. Toutefois, j’ai remarqué que tu as fait beaucoup de progrès pendant les derniers mois. Tes résultats se sont améliorés en français et en mathématiques. On ne parlera pas du catéchisme. Je te donne une chance. J’inscris « septième année » dans le journal d’appel.

- Merci, mademoiselle Angèle, en appuyant sur le prénom. Allez-vous revenir enseigner ici en septembre ?

- Je ne sais pas, de répondre l’institutrice un sourire en coin. Tu peux quitter.

 

Zacharie était fier. Il s’empressa d’informer son ami qu’il avait été promu. Celui-ci lui dit :

- J’ai une nouvelle à t’apprendre. Ma mère m’a inscrit au couvent du village pour faire ma huitième année. Je vais demeurer chez une de mes tantes.

- Je m’attendais un peu à cela. Nous serons séparés pour une année, mais je te rejoindrai.

 

En septembre, quelle ne fut pas la surprise de Sim quand il vit Angèle entrer en classe. Elle enseignait maintenant aux élèves de septième et de huitième année du village. Cette fois-ci, Sim sentait en lui une certaine attirance envers l’institutrice. « Je ne ferai pas comme Zacharie, se disait-il. Sa stratégie de mots doux ne l’a mené à rien. »

 

Quand Sim revint chez ses parents le samedi suivant, son ami se précipita pour le rencontrer :

- Comment ça va au village ?

- Tu ne pourras pas l’imaginer. Ma maîtresse d’école s’appelle … Angèle.

- Pas mon Angèle ?

- Oui.

 

Zacharie ressentait une fureur intérieure, mais il ne le montra pas. « Je te souhaite bonne chance, se contenta-t-il de dire. » Zacharie devint très jaloux de son ami. Cette jalousie l’amena à se convaincre de faire des efforts surhumains pour obtenir son certificat de septième année et ainsi pour pouvoir, le pensait-il, renouer avec Angèle.

 

Sim avait maintenant 14 ans. Il offrit à Angèle qui demeurait au village d’effectuer de menus travaux pour les parents de celle-ci. L’institutrice accepta avec plaisir. Elle semblait avoir un béguin pour cet adolescent. Elle se disait : « En fin de compte. Je n’ai que 19 ans. Seulement cinq ans nous séparent. »

 

Chaque fin de semaine, Zacharie allait rencontrer son ami chez ses parents. Il posait de multiples questions. Sim lui cachait le rapprochement qui existait entre Angèle et lui.

 

À la fin d’avril, Sim fut bouleversé quand une suppléante entra en classe et annonça qu’Angèle était atteinte de tuberculose et qu’elle était au sanatorium de la ville voisine. Zacharie le fut encore plus quand il sut la nouvelle. Il devint désespéré si bien qu’il cessa d’accorder de l’importance à ses études. Malgré cela, il réussit son certificat de septième année avec une moyenne de 68 %. Son père était très heureux. Au cas où Angèle reprendrait l’enseignement, Zacharie demanda à son père s’il pouvait faire sa huitième année au village en septembre suivant. Ce qui fut accepté.

 

Les deux amis se retrouvèrent au couvent dans la même classe : Zacharie en huitième et Sim en neuvième année. La commission scolaire avait retenu les services d’un enseignant masculin pour ce groupe. Angèle était toujours au sanatorium. Les relations entre les deux copains étaient bonnes, mais on sentait une certaine tension quand ils parlaient de leur ancienne institutrice.

 

Vers le mois de novembre, l’oncle de Zacharie regretta d’avoir accepté un pensionnaire. Il rencontra le paternel et lui dit :

- Ton fils ne respecte pas le couvre-feu du village à 9 heures le soir et il est grossier envers sa tante quand je ne suis pas là.

- Si c’est comme ça, de reprendre le père, je vais le retirer de l’école.

 

Zacharie fut confronté par son père sur ses prétendus agissements. Il nia tout, sauf une fois où il était entré à la maison de son oncle cinq minutes plus tard que requis. Zacharie avait raison, mais le mal était fait. Il ne pouvait plus continuer à vivre dans cette maison qui le rejetait. À son grand désespoir, sur décision de son père, il dut abandonner l’école et venir vivre chez ses parents. Son rêve s’écroulait. Son espoir d’épouser un jour Angèle prenait l’eau. Quelques semaines plus tard, il partit vivre à Amos en Abitibi chez un de ses frères où il trouva du travail de mesureur dans une compagnie forestière.

 

Après sa neuvième année, Sim fut engagé comme commis de bureau à la Caisse populaire du village. Au début, il recevait les clients au comptoir. Il inscrivait à la plume les dépôts et les retraits dans un carnet, calculait mentalement le solde en regard duquel il inscrivait ses initiales.

 

Un bon jour, il vit apparaître devant lui nulle autre qu’Angèle qui avait repris son air rafraichissant du bon vieux temps. Elle venait assez souvent faire des petits dépôts ou des petits retraits : ce qui intriguait Sim au plus haut point. Elle engageait alors la conversation avec un enthousiasme débordant. Le jeune garçon finit par comprendre qu’elle le désirait. Pour sa part, il ressentait maintenant peu d’attirance à son égard. Son cœur ne semblait pas lui être destiné.

 

Un peu plus tard, Angèle, qui enseignait maintenant en septième année au village, postula pour être membre de la commission de crédit de la Caisse populaire et fut choisie. Elle avait trouvé ce moyen pour être plus près de Sim et le plus longtemps possible. Ce dernier fut happé par cette vague d’attention et se dit : « Pourquoi pas elle ? ». Un an plus tard, le mariage eut lieu. Angèle avait gagné le gros lot.

 

Quand Zacharie apprit la nouvelle, il fut abasourdi. Il se dit en lui-même : « Qu’ai-je fait au bon Dieu pour que mon meilleur ami d’école me vole ma dulcinée, moi qui suis emprisonné dans cet Abitibi que j’ai choisi par dépit ? Je ne retournerai plus jamais dans ma paroisse natale, germe de trahisons. » Il tomba, pour un temps, dans une légère déprime. Peu à peu, il releva la tête et interdit à son cœur d’intervenir dans cette épreuve.

 

Cinq ans passèrent. Loin de ses parents, Zacharie fut happé par le mal du pays. Pendant ce temps, le couple Angèle-Sim battait de l’aile. Il n’avait pas eu d’enfant et le jeune homme consacrait son énergie à son travail où il avait eu une promotion. Il agissait maintenant comme assistant-gérant, pendant que l’ancienne institutrice se morfondait à la maison.

 

Zacharie se résigna enfin à venir dans sa paroisse natale. Il avait prévu y demeurer deux semaines, histoire de rattraper le temps perdu loin des siens. Il alla visiter Sim à la Caisse populaire qui, à sa grande surprise, l’invita à venir veiller chez lui le samedi suivant. Zacharie accepta. Toutefois, il se disait : « Je prends le risque que les flèches de Cupidon m’atteignent en plein cœur et me dirigent vers une plus grande déprime que celle que j’ai connue ».

 

Quand Angèle sentit toute l’affection que Zacharie avait conservée à son égard, elle fut prise de vertige. Elle tenta de ne rien laisser paraître, mais le cœur du jeune homme avait compris. Lorsque Sim était au travail, le nouveau prétendant se pointait le nez chez elle. Il était toujours reçu avec une amabilité déconcertante.

 

Un jour, Angèle lui dit : « J’aimerais ça aller visiter ta nouvelle terre d’accueil ». Zacharie accepta d’emblée. L’ancienne institutrice informa son mari qu’elle avait décidé de faire un petit voyage en Abitibi. Ce dernier n’y voyait pas d’inconvénients. Angèle partit avec Zacharie. Le petit voyage s’est transformé en un grand voyage, car elle ne revint jamais.

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# 3095                 24 septembre 2016

L’autre Voltaire

C’était un jour de juillet ensoleillé. J’avais 11 ans. En après-midi, accompagné de mes deux jeunes frères, j’étais allé ramasser des fraises. Quand je suis revenu à la maison, mes parents faisaient la besogne du soir à l’étable. Il y avait un homme inconnu assis dans la cuisine qui écoutait la radio. Il se présenta :

- Je m’appelle Voltaire.

- Quel drôle de nom, me dis-je ?

 

Après m’être lavé les mains rougis par les fraises en puisant l’eau dans le « boiler » du poêle à bois, je pris une chaise face à Voltaire :

- Mon garçon, que comptes-tu faire dans la vie, me dit-il ?

- Je veux devenir prêtre, répondis-je.

- Un jour quand j’avais 8 ou 9 ans, j’avais dit à ma mère que je voulais devenir pape. Elle avait rétorqué qu’avant d’être pape, il fallait être prêtre et qu’avant d’être prêtre, il fallait faire de longues études en latin. Je lui avais dit que j’étais prêt à tout.

 

J’étais fasciné par sa voix douce et engageante. Je buvais ses paroles. La conversation continua jusqu’à ce qu’il dise :

- Tu sais, mon garçon, je ne m’appelle pas Voltaire, mais Jean-Marie. Je te confie ce secret. N’en parle jamais à personne.

- Promis.

- Connais-tu le vrai Voltaire ?

- Non, mais lors de sa dernière visite à l’école en mai dernier, le curé a dit ce nom. Il a nommé deux autres personnes et a dit que leurs écrits étaient à l’index. Il nous a expliqué que cela voulait dire qu’un catholique n’avait pas le droit de lire leurs livres.

- C’est bien ça. Sais-tu que Voltaire a écrit une vingtaine de livres ?

- Non, répondis-je, mais j’aimerais ça, moi aussi, écrire des livres quand je serai grand.

- Tu devrais lire du Voltaire. Moi, j’ai lu plusieurs de ses contes et de ses romans. C’est un oncle notaire qui me les prêtait. Mes parents, eux, savaient à peine lire et écrire. Quand j’ai eu 13 ans, je voulus aller au Séminaire. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Alors, ma mère a décidé de produire de la bagosse et d’en vendre pour payer mes études en latin.

 

Je lui demandai ce que c’était de la bagosse. Il me répondit que c’était de l’alcool de fabrication domestique et que c’était défendu par la loi d’en vendre. Il continua :

- Ma mère s’est fait prendre à en vendre. Le juge lui a donné deux ans de prison.

- Il me semble que c’est énorme comme sentence, repris-je.

- Le juge a dit qu’il voulait faire un exemple, qu’une femme devait s’occuper de son mari et de ses enfants plutôt que de se livrer à des délits qui sont plus acceptables pour les hommes. Nous étions six enfants. Mon père qui était journalier nous a placés chez des oncles. Moi, j’ai eu la malchance de tomber sur un oncle cultivateur qui me battait. Je devais travailler 10 à 12 heures par jour et il n’était jamais satisfait de mon travail. J’ai dû renoncer à mon rêve d’être pape.

- Vous deviez être content quand votre mère est sortie de prison.

- Imagine-toi la déception. Pendant qu’elle était en prison, elle a connu un gardien et ils sont tombés en amour. Quand elle fut libre, elle s’est enfuie à Montréal avec lui. Je n’ai jamais revu ma mère.

- Ça dut être un dur coup pour la famille, dis-je. C’est la première fois que j’entends dire ça : une femme qui quitte ses enfants. Les hommes, ça arrive parfois, mais pas les femmes.

- Si je suis quêteux aujourd’hui, c’est la faute de ma mère. À 19 ans, j’ai quitté la maison de mon oncle. J’ai bûché dans le nord. J’ai fait de la drave. Je me suis résigné à effectuer différents boulots. J’aurais voulu me marier et avoir des enfants, mais aucune femme ne voulait de moi. Mon enfance malheureuse ne m’a pas quitté depuis.

 

Sur les entrefaites, ma mère entra avec son pot de lait à la main. Voltaire mit son doigt sur sa bouche pour me rappeler de garder le secret. Je fis signe que oui.

 

Quand Voltaire eut quitté la maison le lendemain matin, je pris le journal. Je dis à ma mère :

- Il manque une page, celle de la bande dessinée de la famille Têtebêche.

- Ce doit être ton père qui l’a prise pour allumer le poêle, ce matin. Je lui dis de prendre les journaux qui sont dans la boîte à bois, mais il est souvent distrait.

 

Un peu avant le dîner, ma sœur ainée arriva du poulailler.

- La récolte d’œufs est moins bonne ce matin. Ça doit être le quêteux qui a lancé un sort aux poules.

 

Deux ou trois jours plus tard, alors que mon père était à confectionner une petite armoire, il me demanda d’aller chercher la lime ronde dans le hangar. Je ne la trouvai pas. Je revins bredouille. Mon père était furieux.

- Ça doit être encore ton frère qui ne l’a pas remise à sa place.

 

Deux ans passèrent. On ne vit plus Voltaire dans la paroisse. Je pensais à lui souvent. J’en rêvais même. Je le voyais, de sa voix envoûtante, me raconter le reste de sa vie. J’avais de la peine pour lui. Je me demandais pourquoi le malheur pouvait frapper un aussi bon gars. Quel âge avait-il ? Il m’avait semblé être dans la cinquantaine avancée. Où demeurait-il pendant l’hiver ? Qu’avait-il dans sa poche qui semblait assez lourde ? Voilà autant de questions qui me perturbaient.

 

À 13 ans, je commençai mes études au Séminaire. Je demandai à mon directeur spirituel si je pouvais avoir un livre du vrai Voltaire. Il me répondit que c’était impossible, que ses livres étaient entreposés dans une salle fermée à clef appelée l’enfer. J’allai à la librairie. La gérante refusa de me céder le seul livre de Voltaire qu’elle avait, me disant que le Supérieur du Séminaire lui avait interdit d’en vendre aux élèves.

 

Lors de ma troisième année au Séminaire, je vis un personnage assez âgé près de la cour de récréation. Je m’approchai. Je constatai que cet homme vendait des cigarettes. Il y avait trois ou quatre élèves autour de lui. Je l’ai entendu dire : « C’est deux pour cinq sous. » Je reconnus sa voix. C’était mon bon ami Voltaire. Ma mère m’avait donné 25 sous pour acheter un catéchisme. C’est tout ce que j’avais en poche. Je tendis ma pièce de monnaie. Il me donna deux cigarettes et deux pièces de 10 sous. Il ne m’avait pas reconnu. Je m’éloignai.

 

Quand il fut seul, je revins vers lui :

- Bonjour Voltaire, dis-je. Je suis content de vous revoir.

- Mon garçon, répondit-il, je ne m’appelle pas Voltaire. Je ne sais pas où tu as pêché ça.

- Vous êtes venu chez nous voilà trois ou quatre ans.

- Mon garçon, je ne te connais pas. Va jouer avec tes camarades.

 

J’étais très déçu. J’étais certain que c’était lui. Sa voix, son nez, ses yeux fuyants ne pouvaient pas me tromper. Comme je réfléchissais à cette rencontre, mon meilleur ami vint me trouver.

- Je t’ai vu acheter des cigarettes de mon grand-oncle, me dit-il.

- Quoi ? Tu le connais. Il s’appelle Voltaire, n’est-ce-pas ?

- Pas du tout. Il s’appelle Étienne.

- Qu’a-t-il fait de sa vie ?

- Je l’ai souvent demandé à ma mère qui est sa nièce. Elle m’a dit que c’était un sujet tabou dans la famille. Elle-même aimerait bien savoir ce qu’il a fait. Tout ce que je sais, c’est que son passé est douteux.

- Penses-tu qu’il a déjà été quêteux ?

- Ça ne me surprendrait pas.

 

Les paroles de mon ami résonnèrent dans ma tête comme un coup de masse. Mon cœur se brisa en mille pièces. Je demeurais certain que je l’avais reconnu. Par la suite, on ne le revit plus vendre des cigarettes dans la cour de récréation.

 

Deux ans plus tard, mon ami me dit :

- Jeudi, pourrais-tu prendre des notes pour moi au cours de mathématiques ? Je vais au service de mon grand-oncle Étienne.

- Voltaire est décédé, dis-je ?

- Oui. Aimerais-tu qu’on aille au salon funéraire ensemble, ce soir ?

- Sûrement.

 

J’allai voir le directeur des élèves pour lui demander la permission. Il accepta. Quand j’entrai dans le salon, il y avait là au plus cinq personnes. J’offris mes condoléances à une dame assez âgée qui me dit :

- Je suis soulagée de voir qu’il est parti. Je suis sa sœur et je l’ai hébergé presque toute sa vie. À cause de lui, mes autres frères et sœurs ne voulaient plus me parler.

- Qu’a-t-il donc fait ?

 

J’ai moi-même était surpris de ma question. Je me suis dit que peut-être la dame se sentait à l’aise avec moi et qu’elle avait besoin de parler pour se vider le cœur. Elle répondit :

- Il a passé plus de la moitié de sa vie en prison.

 

Je faillis m’évanouir. « Non, pas mon Voltaire, me dis-je ? » Elle reprit :

- Tu l’as probablement déjà vu vendre des cigarettes en ville. Mais sous quel nom l’as-tu connu ?

- Sous le nom de Voltaire, puis de Jean-Marie qu’il m’a confié en secret. Il m’a dit qu’il avait lu plusieurs livres de Voltaire.

- Quelle farce ! Il n’a jamais lu un livre de sa vie. Tout ce qu’il faisait chez moi, c’est d’écouter la radio, puis la télévision depuis qu’elle existe. Le reste du temps, il errait partout et volait à gauche et à droite des objets qu’il revendait. C’était un beau parleur, un manipulateur.

- Ma mère l’a déjà hébergé une nuit alors qu’il se disait quêteux.

- Vous a-t-il volé ?

- J’y pense soudainement. Je crois qu’il aurait volé des œufs dans le poulailler.

- Il m’a déjà dit qu’il le faisait, qu’il les emballait dans du papier journal et qu’il les vendait aux gens qui n’avaient pas de poules. Il croyait ainsi faire la charité. Vous a-t-il volé autre chose ?

- Oui, probablement une lime à bois.

- C’est bien lui. Il a fait ça toute sa vie sans aucun remords. Pourtant, il a eu des parents aimants, qui étaient assez aisés et qui auraient voulu qu’il fasse des études.

- Ce n’est pas ce qu’il m’a raconté.

- Je n’en doute pas un instant, de reprendre la dame à l’évidence captivée par la conversation. Je suis tellement contente de t’avoir conté tout cela. Je t’ai vu entrer avec mon petit-neveu. Ne lui raconte pas ce que je t’ai dit. Ce n’est pas nécessaire qu’il connaisse tous les mauvais coups de son grand-oncle. Lors d’une journée de congé, tu devrais venir me voir avec mon petit-neveu. On parlera de d’autres choses.

 

Je sortis du salon funéraire le cœur en lambeaux. Voltaire avait complètement abusé de ma naïveté de jeune. Je rêvais au moment où je pourrais lire un roman ou un conte du vrai Voltaire. Pour le moment, j’en étais désabusé. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis adonné à la lecture de certains contes. Je pensais alors constamment à Voltaire, l’étrange quêteux.

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# 3065                 12 septembre 2016

Le piège à ours

Émile avait 10 ans. Son père Gérard Lemieux était un des gros cultivateurs de la paroisse. Il demeurait au rang 3 et il avait 14 vaches. Il était l’agent officiel de l’Union nationale pour la municipalité. C’est lui qui suggérait au député les noms de ceux qui dirigeaient les travaux publics dans la paroisse quand ils y en avaient. Il était entouré de nombreux amis.

 

Un jour, alors que le jeune Émile jouait à transporter des « billots » dans un petit camion en bois fabriqué par son père, sa mère lui demanda d’aller chercher les vaches. Le clos était à environ 300 mètres de la maison. D’habitude, les vaches attendaient patiemment le moment de la traite presqu’en ligne près de la barrière. La première était toujours celle qui était appelée le bésicle et gare aux autres vaches qui voulaient prendre sa place. Elle leur donnait un coup de tête bien senti. Dans la famille, chaque enfant avait symboliquement au moins une vache et le bésicle était celle d’Émile. Il adorait son pelage noir et blanc.

 

Ce jour-là, le bésicle n’était pas là. Après avoir ouvert la barrière avec un peu de difficultés, les vaches passèrent. Émile les compta. Il y en avait 13. En revenant avec elles à la grange, il se disait que le bésicle était sûrement tombé en bas de la montagne. En effet, il y avait, dans ce clos, une côte très abrupte appelée la montagne. Les vaches devaient suivre un sentier en haut de cette côte.

 

En arrivant à la maison, Émile dit à sa mère : 

- Ma vache est tombée en bas de la montagne.

- Comment le sais-tu, de répondre sa mère ?

- Elle n’était pas à la barrière.

 

Tout de suite, la mère demanda à son autre fils de 17 ans d’aller voir pourquoi le bésicle n’était pas à la barrière. Il s’y rendit et trouva la vache dans une clairière au milieu d’un boisé. Elle était prise dans un piège à ours. Il revint à la maison. Le père Lemieux attela un cheval sur le tombereau et y déposa des cisailles. Toute la famille était en émoi. Le bésicle, une vache de huit ans et une bonne productrice de lait, avait été prise pour cible.

 

La vache fut transportée à l’étable. Elle avait une patte cassée. Le père Lemieux avait enroulé sa chemise autour de la patte pour ralentir le saignement. Elle tenait sa tête baissée, comme si elle avait honte d’avoir été piégée, elle d’habitude si fière. Sur-le-champ, le père décida de la garder à l’étable et de l’engraisser pour la vente.

 

Par la suite, chaque jour, Émile allait voir son bésicle à l’étable. Il la flattait sur la tête. Il s’assoyait sur le petit banc utilisé par sa mère pour traire les vaches. Les larmes coulaient. Puis, il retournait jouer autour de la maison.

 

Le soir même de l’incident, le père Lemieux dit à son épouse :

- Je sais qui a fait ça.

- Qui est-ce, de rétorquer la femme ?

- C’est Yvon Vaillancourt. On peut lire sur le piège YV. Il a tenté de faire disparaître la marque en la grafignant, mais il n’a pas totalement réussi.

 

Qui était Yvon Vaillancourt ? C’était l’agent officiel du parti libéral, le parti des Rouges. Il était l’ennemi juré de Gérard Lemieux qui était un Bleu, le parti de l’Union nationale. Depuis une semaine, on était en période électorale. Lemieux était certain que Vaillancourt était le responsable parce que c’était le seul homme de la paroisse à avoir ces initiales. De plus, le père d’Yvon avait été en son temps un braconnier renommé qui se plaisait à raconter ses exploits de chasse.

 

Après la traite des vaches, Lemieux alla placer le piège dans son hangar. Le lendemain matin, en y allant chercher un outil, le piège avait disparu. Il y avait à la place une bouteille de bière vide de marque Dow. Tout le monde savait que les Rouges teindus avaient adopté cette bière, tandis que les Bleus teindus, comme Lemieux, buvaient de la Molson. Cette bouteille intrigua Lemieux au plus haut point. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond.

 

Le soir même, il alla voir son meilleur ami et bras droit, Henri Dupire, le troisième voisin de l’est. Il lui raconta toute l’histoire. Henri n’était pas surpris que les Rouges aient voulu s’attaquer à Lemieux. « Ce sont des malhonnêtes, dit-il, qui n’hésitent pas à s’en prendre aux adversaires. Ils ont une telle haine de Duplessis qu’ils sont prêts à tout. » Lemieux lui demanda d’aller dans le hangar de Vaillancourt pendant la nuit pour voir si le piège était là. Henri accepta avec plaisir. « Je suis certain d’y trouver le piège, dit-il. Tu sais que je suis ton meilleur supporter ».

 

Le lendemain, Henri vint trouver Lemieux et lui dit :

- J’ai trouvé le piège dans le hangar de Vaillancourt. Il était attaché au mur avec une chaîne munie d’un cadenas. Je n’ai pas pu l’apporter. Il a été repeint en rouge. On peut quand même discerner que quelque chose avait déjà été écrit, mais c’est illisible.

 

La campagne électorale continua. Chaque camp faisait du porte à porte pour vanter les mérites de son candidat. Pour les Rouges, il fallait absolument battre Duplessis qui était premier ministre depuis une dizaine d’années et qui, selon eux, baignait dans la corruption. Leur slogan, répété avec conviction était : « Il faut que ça change, Duplessis est pourri. » Pour les Bleus, Duplessis était l’ami des cultivateurs. Il avait payé des bulldozers pour épierrer leur champ et enfouir les tas de roches. Il promettait encore plus s’il était réélu.

 

En quelques jours, la rumeur fit le tour de la paroisse. L’agent officiel des Rouges avait tué la vache de l’agent des Bleus. Vaillancourt clamait à qui voulait l’entendre qu’il n’y était pour rien. Il disait : « Venez voir dans mon hangar. Je n’ai pas de piège à ours et je n’en ai jamais eu. » Seuls les Rouges le croyaient. Les Bleus étaient persuadés que c’était bien lui, en partie compte tenu de la réputation de son père.

 

Une semaine avant la votation, il y eut une assemblée contradictoire à la salle municipale. Les deux candidats devaient s’affronter devant les hommes de la paroisse. Chacun fit un discours ponctué d’applaudissements et de huées. Les mots « menteur », « acheté », « pourri » foisonnaient.

 

À la fin de la séance, l’un des supporters de Lemieux se leva :

- Je m’adresse au candidat libéral. Aviez-vous l’intention d’aller chercher des votes quand vous avez donné l’ordre de tuer la vache de Lemieux, l’agent officiel des Bleus ? Une chose est sûre. Vous avez manqué votre coup. La vache n’est pas morte. Vous allez aussi manquer votre coup la journée des élections.

- Mon cher monsieur, de dire le candidat des Rouges, notre parti n’utilise jamais de tels moyens pour gagner ses élections. Je laisse ça aux Bleus qui sont passés maîtres dans ce genre de manipulations. Pensez-vous vraiment que nous aurions sali notre réputation par un geste aussi insensé ? J’en ai parlé à mon agent officiel Vaillancourt. Il m’assure qu’il n’est d’aucune façon responsable et qu’il n’a jamais incité un de nos partisans à agir ainsi. On dit que Vaillancourt a peint son piège à ours en rouge. Hé bien moi, je n’aurais jamais fait ça. Je l’aurais peinturé en vert pour bien le dissimuler dans la nature.

- Encore une fois, de répondre le candidat des Bleus, les Rouges nient l’évidence. Ils ont tellement peur de Duplessis qu’ils n’hésitent pas à employer des moyens malhonnêtes. Disons-le franchement, les Rouges n’ont aucun respect pour les cultivateurs. Ils portent cravate et chemise blanche pour cacher leur hypocrisie.

 

Les insultes continuèrent à être proférées jusqu’à ce que le président de l’assemblée mette fin aux questions. L’un des cultivateurs, Onésime, qui demeurait dans le même rang que Lemieux et qui était un Rouge, le tira par la manche et lui dit :

- Je voudrais te parler. Je pense savoir qui a posé le piège à ours dans ton clos. C’est ton ami Henri, ton bras droit.

- C’est impossible, de répondre Lemieux. As-tu des preuves ?

- Le jour où l’incident a eu lieu, j’allais porter les bidons de crème à la beurrerie. Je suis passé devant la maison d’Henri. Il sortait de son hangar avec un piège à ours. Quand il m’a vu, il est retourné dans son hangar et a fermé la porte derrière lui.

- Je ne peux pas te croire, de dire Lemieux. Tu veux innocenter Vaillancourt, un Rouge comme toi.

- Ce matin-là, de continuer Onésime, mes enfants sont allés aux framboises dans le champ voisin du tien. À un moment donné, ils ont vu arriver Henri avec ses enfants. Celui-ci a fait semblant de ramasser des framboises. Il portait une poche sur le dos. Puis, il a disparu et a laissé ses enfants avec les miens.

- Je ne te crois pas, mais je vais quand même faire enquête, de dire Lemieux.

 

Lemieux était dans tous ses états. Arrivé à la maison, il dit à son épouse :

- Tu ne le croiras pas. Je sais qui a posé le piège. De ce pas, je vais rencontrer mon bon ami Henri.

 

Henri reçut Lemieux froidement. Il avait vu Onésime lui parler après la réunion. Lemieux alla droit au but :

- Henri, c’est toi qui as posé le piège. Tu vas payer pour ma vache que je dois faire abattre. Tu n’es jamais entré dans le hangar de Vaillancourt parce qu’on m’a dit qu’il mettait un cadenas sur la porte depuis qu’il y gardait des poules et qu’il s’en était fait voler pendant une nuit.

 

Au début, Henri nia tout, mais devant les preuves que lui apportait Lemieux, il ne savait plus quoi répondre. Il finit par lâcher le morceau en admettant sa culpabilité.

- Ma femme, de dire Lemieux, m’avait mis en garde contre toi. Elle sentait que tu voulais avoir ma place. Tu as pris le mauvais moyen. Ta réputation est ternie à tout jamais. Bonsoir.

 

Le lendemain, tout le monde de la paroisse savait qu’Henri était le grand responsable. Cet acte insensé eut une conséquence sur le résultat du vote car les Rouges l’emportèrent dans la paroisse. Toutefois, le candidat de Duplessis gagna dans le comté.

 

Le soir même, quand les résultats furent annoncés à la radio, plusieurs hommes de la paroisse incluant les Rouges et les Bleus se présentèrent au domicile d’Henri. Ils mirent le feu à son hangar. Les Rouges le faisaient pour fêter leur victoire dans la paroisse, les Bleus pour se venger d’Henri qui les avait fait perdre la paroisse. Dans toute l’histoire de la municipalité et probablement d’ailleurs, on n’avait jamais vu les Rouges et les Bleus agir de façon commune le soir d’une élection.

 

Henri vendit sa terre et obtint un emploi de veilleur de nuit dans une usine de la ville voisine.

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# 2875                 11 juin 2016

Un curé troublé

Rosaire Arsenault et Marie-Anne Maltais étaient mariés depuis cinq ans et ils n’avaient pas encore d’enfant. Le 1er janvier 1931, à titre de résolution pour l’année, Marie-Anne dit à son mari :

  Que dirais-tu si, cette année, on adoptait un enfant ?

  Je suis d’accord, de reprendre son mari, à la condition que ce soit un garçon. Il pourrait m’aider sur la terre.

 

Après des démarches, le couple adopta un enfant issu de parents inconnus. Il était né le 8 septembre, jour où l’Église fête la Nativité de la Vierge Marie. Il fut baptisé le lendemain sous le prénom de Jean-Marie.

 

Dès son jeune âge, Jean-Marie qui était enfant unique se fit remarquer par sa piété, sa très grande sensibilité et sa facilité à apprendre. Ses parents lui annoncèrent très tôt qu’il avait été adopté. Quand il entendit parler de l’enfer à l’école, il était certain d’y être précipité un jour, vu qu’il était né dans le péché. Dès l’âge de 8 ans, après la récitation du chapelet en famille, Jean-Marie gagnait sa chambre et récitait un autre chapelet. Il se mordillait les bras tout en invoquant la Vierge Marie de le sauver des flammes de l’enfer.

 

Alors qu’il avait 11 ans, l’inspecteur d’écoles lui remit, comme preuve de ses succès scolaires, un livre sur la vie du curé d’Ars. Il y découvrit que le prénom du curé d’Ars était Jean-Marie, tout comme lui. Plus encore, il apprit que ce prêtre usait de mortifications et de procédés de flagellations. Un jour, Jean-Marie dit à sa mère :

  Maman, je voudrais changer mon nom de famille pour Vianney.

  Pourquoi, répondit-elle ?

  Parce que c’est le nom de famille du curé d’Ars. Celui-ci était un saint sur terre et je voudrais être comme lui.

  Tu sais bien que ce n’est pas possible de changer de nom.

 

Jean-Marie, le cœur gros, retourna dans sa chambre. Il prit un couteau de poche et grava un X sur sa poitrine. Puis, il passa presque la nuit à prier. Quand sa mère, le lendemain, remarqua du sang sur ses draps, elle l’interrogea à ce sujet. Il fut bien obligé de lui montrer sa plaie. Pour expliquer son geste, il dit : « J’ai voulu compatir aux souffrances du Christ qui a été battu et flagellé. Le X représente le Christ. » Sa mère lui fit promettre de ne plus jamais recommencer.

 

Un jour qu’une religieuse de l’Immaculée-Conception était venue visiter les enfants à l’école du rang, Jean-Marie lui demanda si elle avait des biographies de saints. Celle-ci lui conseilla d’aller au couvent du village. Le dimanche suivant, il s’y rendit et on lui prêta un livre sur les Martyrs canadiens. Il était envouté par le désir de ces jésuites de perdre leur vie pour sauver les Iroquois de l’enfer. Il voulait suivre l’exemple du père Jean de Brébeuf qui était mort brûlé vif par cette bande amérindienne.

 

À 13 ans, il fut admis au Séminaire diocésain. Ses confrères remarquèrent rapidement sa très grande piété, mais surtout sa propension à se mutiler quand arrivaient les différentes fêtes de la Vierge Marie. Les autorités du collège lui interdirent ces pratiques sous peine d’expulsion. Il combla cette tendance en passant des heures à la chapelle, parfois les bras en croix. Pour ce faire, il se cachait dans un coin.

 

À la fin de son cours classique, il demanda son admission au Grand Séminaire. À cause de son état mental, les autorités hésitèrent longuement jusqu’à ce qu’un de ses anciens professeurs d’histoire, qui était en même temps son directeur spirituel, leur mentionne que Jean-Marie avait une foi profonde et connaissait l’histoire de l’Église comme pas un.

 

Il fit ses études théologiques. Lors des récréations, il se rendait souvent à la chapelle pour prier. Plus il se plaisait dans ces exercices, moins il craignait d’aller en enfer, tout comme d’ailleurs l’avait fait le curé d’Ars.

 

À l’âge de 25 ans, il fut ordonné prêtre et fut assigné comme vicaire dans une paroisse. L’évêque avait averti le curé de le surveiller parce qu’il craignait des récidives de mortifications. Ces trois années de vicariat se passèrent sans trop d’anicroches, sauf que le curé n’aimait pas la façon dont il se comportait avec les jeunes filles.

 

L’évêque décida alors de le nommer vicaire dans une autre paroisse où le curé était redouté pour l’ascendant qu’il portait envers ses subalternes et même envers les paroissiens. Ces cinq années passées auprès de ce curé semblaient avoir augmenté la confiance de Jean-Marie envers lui-même. Il avait sans aucun doute pris de la maturité.

 

À 34 ans, il fut nommé curé à Saint-Philémon-de-Marie. Il attendait ce jour depuis longtemps, mais en même temps il se sentait indigne de cette fonction. Il relut en rafale la biographie du curé d’Ars pour que ce dernier le guide dans sa nouvelle tâche. Sa mère l’accompagna dans son déménagement et promit de rester avec lui tant qu’il n’aurait pas trouvé de servante.

 

Le premier dimanche, il monta en chaire et dit : « Bien chers frères, je suis heureux d’être votre nouveau pasteur. Votre ancien curé m’a dit tellement de bien de vous. Malgré mon indignité à vous servir, je vais essayer d’être à la hauteur de la tâche. Je voudrais tellement aller au ciel après ma mort, mais j’ai beaucoup de doutes. J’ai même peur pour votre salut éternel. Avec le temps, vous verrez que je suis un grand pécheur et que j’ai besoin de prier longuement Notre Seigneur chaque jour. » Il continua en faisant l’éloge de la prière. En terminant, il informa les fidèles qu’il avait besoin d’une servante et convoqua une réunion spéciale des marguilliers après la messe.

 

Les paroissiens, habitués à l’ancien curé qui baragouinait les prières, furent étonnés de constater que le nouveau curé prononçait distinctement chaque mot et semblait se complaire dans leur signification. La communion était longue parce que le prêtre appuyait sur chaque syllabe de Corpus Christi (le corps du Christ).

 

Lors de la réunion, après les présentations d’usage, l’abbé Jean-Marie informa les marguilliers qu’il voulait créer un sanctuaire de prière dans le presbytère. Pour cela, il était nécessaire d’abattre une cloison entre deux chambres. Le plus vieux des marguilliers intervint : « Le presbytère ne contient que cinq chambres. Une chambre pour vous, une autre pour votre servante et il ne resterait plus qu’une chambre pour recevoir les visiteurs. C’est sûr que l’évêque n’approuverait pas ce projet. » Finalement, il fut convenu de prendre une chambre à titre de sanctuaire et d’y installer un autel qui pourrait être déménagé au besoin.

 

Au cours de la semaine, des jeunes filles se présentèrent au presbytère pour avoir le poste convoité de servante du curé. L’abbé Jean-Marie jeta son dévolu sur une jeune fille de 18 ans, une brune aux yeux marron et du nom de Marie-Jeanne.

 

L’intégration du jeune curé ne se fit pas sans heurts. Les cérémonies étaient longues. Les questions en confession étaient nombreuses. Souvent, lorsque des paroissiens se présentaient au presbytère, la servante les recevait gentiment et disait : « Monsieur le curé est en train de prier dans son sanctuaire. Vous savez, c’est un saint prêtre. » Les gens n’osaient pas le déranger d’autant plus que l’abbé Jean-Marie avait pris la précaution de leur dire qu’il priait pour toutes les âmes de la paroisse et même pour leurs parents défunts.

 

Les murs du sanctuaire improvisé étaient ornés d’images de saints et de saintes. Derrière l’autel où foisonnaient des lampions et des chandelles, le curé d’Ars en image semblait heureux d’être là. Un prie-Dieu confectionné rustiquement par un paroissien était au centre de la pièce.

 

À peu près six mois plus tard, un jour, la grande Gertrude cogna à la porte du presbytère. Personne ne vint répondre. Elle entra et s’assit dans le vestibule. À un moment donné, elle entendit des gémissements dans une chambre du haut. Prestement, elle quitta le presbytère. Pour ne pas être accusée de médisance, elle choisit de ne rien dire à personne.

 

Un an passa. Un soir, le curé se présenta au domicile des parents de sa servante :

– Monsieur Brisebois, votre fille est enceinte.

– De qui, de répondre la mère ?

– De moi. Je suis un grand pécheur. Le diable a eu raison de ma chair. Je suis tombé dans son piège. Il voulait ma destruction éternelle. Il a gagné. Je ne suis bon maintenant qu’à brûler dans les flammes de l’enfer.

– Un instant, monsieur le curé, de répondre le père qui était un fervent catholique. Ce n’est pas vous qui avez fait cela. C’est impossible. Tout le monde dans la paroisse dit que vous êtes un saint. Il faut trouver le vrai coupable.

– Depuis que cet événement m’est arrivé, de reprendre le curé de plus en plus piteux, je n’ai pas cessé de prier et d’invoquer le curé d’Ars. Mais ce dernier a commencé à rire de moi. Hier, j’ai brûlé son image. La situation étant ce qu’elle est, il serait préférable que votre fille soit reçue dans un monastère à Montréal pour y passer sa grossesse. Je veux qu’on reconnaisse sur le baptistère de l’enfant que je suis le père. Je m’en voudrais éternellement d’avoir procréé un enfant né de parents inconnus, comme je l’ai été.

– Vous dérapez, monsieur le curé, hurla le père toujours sceptique. Vous savez bien qu’un prêtre ne peut pas avoir d’enfant. Votre évêque va vous excommunier.

– Je suis prêt à toutes les conséquences, de reprendre le prêtre, les larmes aux yeux.

 

Le père invita le curé à aller se reposer et demanda de dire à sa fille de venir à la maison. Il conclut en disant :

– Venez nous voir demain soir. On en reparlera.

 

Deux ou trois heures plus tard, le gérant de la Caisse populaire revenait à son domicile quand il vit des flammes sortirent du toit du presbytère. Il se précipita et défonça la porte du bâtiment. Il était trop tard. On retrouva le corps du  curé, calciné dans le sanctuaire. Il était mort brûlé vif comme le martyr canadien Jean de Brébeuf.

 

Après la mort du curé, la grande Gertrude ne put se retenir de révéler ce qu’elle avait entendu lors d’une visite au presbytère. Tous étaient consternés, mais n’y croyaient vraiment pas. « Un saint prêtre ne pouvait pas avoir succombé aux plaisirs défendus, se disaient-ils. »

 

Quant aux causes de l’incendie, plusieurs pensent encore que, dans un excès de piété et de fatigue, le prêtre a dû s’endormir sur son prie-Dieu sans avoir pu éteindre les chandelles. Marie-Jeanne quitta la paroisse et n’y revint jamais. Sa famille n’a jamais révélé quoi que ce soit. Il existe toujours des points d’interrogation.

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# 2825            21 mai 2016

Un oncle accusateur

C’était une journée pluvieuse de juillet. Mon père était allé porter son bidon de crème et ceux de ses deux voisins à la beurrerie du village. Nous étions en train de jouer à la cachette dans la maison quand ma mère nous demanda de venir dans la cuisine. Nous nous sommes assis.

Ma mère a dit : « Mes enfants, je vais vous raconter une histoire que j’ai vécue quand j’étais jeune. Je profite de l’absence de votre père, parce qu’il ne veut pas que vous soyez au courant de ces événements. L’un des personnages est son oncle. Je vous demande une seule chose : ne jamais le dire à votre père. » Nous étions anxieux d’entendre notre mère. Elle continua : – Voici cette histoire vraie :

 

J’avais 14 ans. Comme vous le savez, mon père avait une terre au village. Lors d’une journée ensoleillée de la mi-juillet, ma mère m’a dit : « Tu vas aller aux framboises cet après-midi sur la terre du père Zéphirin. Amène avec toi tes deux jeunes sœurs Alice et Béatrice. » Alice avait 13 ans et Béatrice, 11 ans. Pour se rendre aux champs de framboises et ne pas être vues, nous devions passer par la forêt. Il y avait là des sentiers dont la plupart avaient été tracés par des animaux de ferme.

 

Nous nous dirigeons sans ambages vers le champ de framboises. Quand nous eûmes rempli nos vaisseaux, le cœur à la joie, nous prenons le chemin de retour. À un moment donné, nous avons choisi le mauvais sentier. Nous avons abouti à une cabane à sucre. La fumée s’échappait du tuyau de cheminée. Ma sœur Béatrice a dit :

– Nous pouvons faire du sucre d’érable en été ?

– Bien sûr que j’ai répondu naïvement. Il s’agit de conserver l’eau d’érable.

 

Nous cognons à la porte. Un monsieur que nous connaissions, le père Anselme, vint ouvrir et ne nous laissa pas entrer. Il avait l’air perturbé par cette visite. « Salut les filles, dit-il, j’ai quelque chose pour vous. » Il revint avec trois images de saint Joseph. « Prenez, dit-il. Faites une prière à ce saint homme chaque jour et vous serez exaucées. » Devant son geste aussi pieux, nous avons pris chacune une image, même si notre mère nous avait souvent répété de ne jamais accepter de cadeaux des personnes en dehors de la famille. Nous sommes parties. En cours de route, nous avons décidé de ne rien dire à nos parents et de cacher nos images.

 

Trois jours plus tard, ma mère nous demanda d’aller à nouveau aux framboises au même endroit. Au retour, le sentier qui nous menait directement à la maison avait disparu. Nous avons invoqué saint Joseph pour qu’il nous protège. Nous avions le choix entre retourner à la cabane à sucre ou prendre le sentier qui conduisait à la maison du père Anselme. Nous avons choisi cette dernière voie.

 

Après environ deux minutes de marche, nous avons vu un vieillard le long du sentier. Il ressemblait étrangement au père Anselme. Il avait le front tombant et les yeux perçants. « Salut les filles, dit-il. Qu’est-ce qui ressemble le plus à un jumeau ? » J’allais répondre : « Un autre jumeau. » Il enchaîna : « C’est moi. » Apeurées par son ton, nous nous sommes mises à courir. Nous avons échappé quelques framboises. Rendues à la maison, ma mère a demandé pourquoi nos vaisseaux n’étaient pas pleins. J’ai répondu en faisant un petit mensonge : « C’est Béatrice qui voulait s’en venir. » Encore là, nous n’avons rien dit à nos parents.

 

Quelques jours plus tard, ma mère nous demanda de retourner aux framboises dans le même champ. Nous ne voulions pas. Elle insista tellement que nous avons fini par céder. Rendues à la fourche où le sentier avait disparu, il y avait des branches cassées par terre. Nous avons pensé que la fois précédente quelqu’un avait bloqué le sentier avec des broussailles pour nous empêcher de passer. Quand notre cueillette fut terminée, Béatrice s’est écriée : « Regardez, il y a de la fumée au nord. » La fumée était tellement épaisse que nous avons craint que ce soit la cabane à sucre du père Anselme qui était en train de brûler. Nous sommes parvenues à la maison en courant. Nous avons raconté ce fait à nos parents.

 

Le lendemain matin, mon père fit sa besogne à l’étable de bonne heure comme d’habitude. Puis, il se rendit à l’église. Il remplissait la fonction de bedeau depuis une dizaine d’années et en était fier. Comme il était en train de recouvrir les statues d’un voile noir en vue d’un service funèbre, le curé arriva : « Monsieur Tancrède, dit-il, je viens de rencontrer le père Anselme. Il m’a juré que ce sont vos filles qui ont mis le feu à sa cabane à sucre. Il m’a dit qu’il les a vues. » Mon père savait que nous étions sur les lieux. Il eut un instant de surprise et d’hésitation. Le curé continua : « Vu les circonstances, je me dois de vous demander votre démission. Nous ne pouvons pas avoir un bedeau dont les enfants ont trempé dans une affaire aussi grave. » Mon père ayant une confiance sans limite envers le curé dit : « Je finis mon travail et vous pouvez me remplacer. »

 

Mon père Tancrède arriva à la maison en pleurant. Il venait de perdre le revenu d’appoint qui servait à faire vivre sa famille convenablement. Il sentait qu’une injustice venait de le frapper. Et nous, les filles, dans tout ça, nous étions terrorisées. Mon père nous regarda affectueusement et nous dit : « Hier, vous avez vu de la fumée. Lors de vos cueillettes précédentes, avez-vous vu le père Anselme ? Il faut tout me dire en détails. » Nous n’avions pas le choix. Le cœur gros et en larmes, nous avons tout raconté. Nous avions honte d’avoir caché à nos parents ce qui était arrivé pendant la semaine précédente. Heureusement que nous sentions la compassion de notre père. Nous sommes parties pour l’école sans déjeuner. Nous n’avions pas faim.

 

La rumeur circula vite dans la paroisse. À l’école, les autres élèves nous invectivaient et nous traitaient de tous les noms. « Quelle honte !, m’a dit une amie, les enfants du bedeau qui allument des cierges dans la forêt. » Un matin, une religieuse vint nous rencontrer et dit : « Je n’avais jamais pensé que des filles sages comme vous aient pu poser un tel geste. Vous avez joué avec le feu. L’enfer vous attend. » Ce fut une période très traumatisante. Nous étions marquées au fer rouge et nos amies nous quittaient une à une.

 

À la suggestion de nos parents, nous sommes allées rencontrer le curé. Il nous a reçues aimablement. Il nous parlait avec douceur. Même sa servante nous a apporté un verre de lait. Nous avons tout raconté sans rien cacher. À la fin de l’entretien, il a dit : « Ce soir, je vais aller voir votre père. » Nous sommes sorties plus sereines et pleines d’espoir.

 

Le curé vint visiter mes parents. Dès son entrée, il dit à mon père : « Monsieur Tancrède, je pense que j’ai été trop vite quand je vous ai demandé votre démission. J’ai cru le père Anselme. Depuis ce temps, j’ai longuement réfléchi et j’ai questionné beaucoup de paroissiens. La plupart s’entendent pour dire que c’est impossible que vos filles soient responsables. D’ailleurs, vos filles ont été très coopératives et je les crois. En particulier, j’ai appris que quelques jours avant l’incendie, le père Anselme avait su que la police avait prévu de faire une descente à sa cabane à sucre parce qu’il y faisait de la bagosse. Aussi, vous pouvez recommencer à accomplir votre tâche de bedeau dès demain matin. » Mon père pleurait de joie.

 

À partir de ce moment, le vent changea. De moins en moins de gens continuaient à nous penser coupables. Comme le père Anselme n’avait pas porté plainte à la police pour incendie criminelle, les paroissiens se sont mis à rechercher d’autres coupables. La vie était plus vivable, mais rien n’avait été réglé.

 

Cinq années passèrent, le père Anselme décida de reconstruire sa cabane à sucre. Il demanda à un neveu, soit votre père, de l’aider. À ce moment, je n’avais jamais parlé à votre père. Je le voyais à la messe, sans plus. Je trouvais qu’il avait une bonne prestance.

 

Pendant ces travaux, un jour que j’étais allée au magasin général acheter du fil blanc, je fis sa rencontre. Il m’aborda : « Cela fait un bout de temps que je te remarque. Penses-tu que je pourrais aller veiller chez tes parents samedi soir qui vient ? » J’étais folle de joie, mais je ne fis rien paraître. Je répondis : « Si cela te tente, pourquoi pas ? »

 

Votre père venait me voir chaque samedi soir et parfois le dimanche après-midi. Mon père n’aimait pas tellement sa présence. Chaque fois qu’il le voyait, il pensait au père Anselme qui avait troublé nos vies. Il m’avait averti : « Ne parle jamais de cet incendie avec lui devant moi. Je ne suis pas capable. Mon cœur a été tellement troublé par cet événement. »

 

Le dimanche après-midi, nous allions prendre une marche dans la rue du village. Il comprenait comment j’avais souffert. Un jour, il me dit : « Compte sur moi, je vais prendre tous les moyens possibles pour éclaircir ce mystère. Mon oncle a une grande confiance en moi et je vais essayer de lui tirer les vers du nez pour en arriver à la vérité. Il a changé quelque peu sa version. Il soutient maintenant qu’il était à la maison quand la cabane a brûlé. Ma tante confirme ce fait. Donc, il ne vous a pas vues mettre le feu. C’est donc quelqu’un d’autre qui a posé ce geste criminel. »

 

Au bout de sept mois de fréquentation, nous avons décidé de nous marier. Pour montrer son désir de résoudre ce crime, votre père m’a dit : « Je ne peux pas t’épouser tant que je n’aurai pas toutes les réponses à mes questions. » J’étais estomaquée, à la fois contente et déçue. Je racontai cette conversation à mon père Tancrède. Il m’a dit : « J’étais réticent au fait que tu maries cet homme, mais là j’approuve entièrement votre mariage. Je suis certain que tu auras un bon mari. »

 

Quelques jours plus tard, votre père me dit qu’il avait fini par connaître la vérité. Son oncle avait placé des bûches de bois sous la casserole sans y verser de l’eau. Il avait mis le feu aux bûches et s’était enfui rapidement à sa maison. Il nous avait vues, moi et mes deux sœurs, revenir des framboises et avait pensé bien faire en nous accusant. Il a confié à votre père, ce que nous savions déjà, à savoir qu’il craignait une descente de la police à sa cabane à sucre vu qu’il y fabriquait de la bagosse.

 

Le mariage eut lieu un 30 mars. À cette époque, la plupart des mariages se faisaient en hiver parce que l’été était réservé aux travaux de la terre. À 7 heures du matin, nous étions à l’église. Anselme a refusé de venir au mariage. Mon père Tancrède en était heureux. Voilà, mes enfants, votre mère vous a tout dit. Je répète : « N’en parlez pas à votre père. »

 

En disant ces derniers mots, une voiture s’est arrêtée près de la maison. C’était notre père qui revenait de la beurrerie. Il était accompagné d’un vieillard. Nous avons reconnu le père Anselme. Ma mère était étonnée : « Que vient-il faire ici ? » Anselme entra dans la maison, soutenu par mon père parce qu’il avait peine à marcher.

 

Ses premières paroles ont été de dire à mon père : « Peux-tu demander aux enfants d’aller jouer dehors ? » Ma mère répondit : « Ce n’est pas nécessaire, drôle de coïncidence, je viens de leur raconter toute l’histoire. » Il s’est approché et prit ma mère dans ses bras : « Je ne sais pas comment le dire, mais je regrette sincèrement tout ce que j’ai fait à votre égard. Il ne me reste que quelques mois à vivre et je ne voudrais pas arriver devant le Créateur avec ces méfaits sur ma conscience. » Ma mère répondit : « Monsieur Anselme, je vous pardonne. Dieu seul peut vous juger. »

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# 2780            3 mai 2016

Alpha et Oméga

C’était mon anniversaire de naissance. J’avais 6 ans. Comme cadeau de fête, j’avais reçu un crayon. J’étais assis au bout de la table familiale en train d’affiler mon crayon quand soudain la Chouette, notre voisine de l’ouest,  fit irruption dans la cuisine :

- Madame Jean, dit-elle, ma Rosa de 5 ans a disparu.

- Quoi ? de répondre ma mère.

- Mes filles sont allées aux fraises. Rosa voulait les accompagner. Elles n’ont pas voulu l’amener. J’ai fouillé autour de la maison et de la grange. J’ai crié à m’époumoner. Pas de Lisa.

 

Troublé par les paroles de cette dame, je me suis coupé à un doigt avec le couteau de poche. Je me suis mis à pleurer. Ma mère prit une débarbouillette, me l’enroula autour du doigt et me dit :

- Va dire à ton père qui est sur le fenil de venir à la maison.

 

Je courus à la grange en tenant ma main levée. Je faillis culbuter tellement mon équilibre était fragile. Mon père était fâché d’être dérangé. Il vint quand même à la maison. Il prit sa hache dans le tambour et courut à la ferme de la Chouette. Celle-ci ne réussissait pas à le suivre à cause de ses jambes courtes et trapues.

 

Finalement, mon père trouva Rosa à deux minutes de la maison. Elle était couchée sous un bouleau. Elle devait avoir pleuré car ses joues étaient encore humides.

 

Cette ferme voisine de la nôtre appartenait à Réal Chou. Sa femme, Élisabeth Lamie, avait pris l’habitude de l’appeler mon chou. En retour, son mari l’appelait ma chouette. Les gens de la paroisse parlaient toujours de monsieur Chou et de madame Chouette. Le couple autour de la quarantaine avait six enfants. Les premiers nés étaient des jumeaux, Roland et Ronald. Quatre filles avaient suivi dont Lisa était la dernière.

 

Presque tous les samedis, madame Chouette venait visiter ma mère. J’avais hâte à ce jour pour écouter ses propos. Quand elle arrivait, je me cachais en haut de l’escalier et je tendais une oreille attentive.

 

Elle rapportait à ma mère toutes les nouvelles de la paroisse. Elle parlait abondamment de son mari et de ses enfants, surtout des jumeaux qui étaient identiques. Selon elle, elle avait le meilleur mari au monde. « C’est vrai, disait-elle qu’il est une pâte molle et un sans talent, mais je l’aime comme ça. » Elle se contredisait souvent dans ses propos. À ce moment, ma mère rétorquait : « Il me semble que vous m’avez dit le contraire il y a quelques temps. » Elle répondait : « Ça se peut. Vous savez, madame Jean, que les choses changent. »

 

Ses jumeaux qu’elle appelait Alpha et Oméga avaient alors 12 ans. Elle prédisait qu’ils auraient un avenir brillant. Oméga réussissait bien à l’école. Même si Alpha avait peu d’intérêt pour les études, il était un excellent organisateur. Elle disait : « Vous savez, madame Jean, qu’un chou et une chouette accouplés ne peuvent que produire des petits génies. » Un jour, elle demanda à ma mère s’il était vrai que l’homme jouissait plus quand il réussissait des jumeaux. Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire. Mais j’ai été saisi par la riposte de ma mère. « Madame Chouette, on ne parle pas de ça. »

 

Un jour, elle s’est plainte que ses jumeaux n’aimaient pas ses tartes.

- Alpha et Oméga ont entendu raconter que vos tartes étaient excellentes, dit-elle. Ils m’ont ordonné de vous demander de me montrer comment vous vous y prenez.

- Pourquoi écoutez-vous toujours vos jumeaux ?

- C’est simple, ce que les jumeaux veulent, Dieu le veut. Mon chou pense exactement comme moi, même s’il n’aime pas parfois recevoir leurs ordres.

 

Avant de partir, la volubile dame empruntait toujours quelque chose à ma mère : un timbre, une enveloppe, une poignée de sel, un peu de poudre à pâte. Quand elle demandait des œufs, ma mère prétextait ne plus en avoir. Elle ne rendait à peu près jamais ce qu’on lui prêtait.

 

Les années passèrent. J’étais toujours au poste le samedi après-midi. L’été quand ma mère voulait que j’aille cueillir des petits fruits ou sarcler le jardin, je pleurais pour ne pas y aller. Mais ma mère ne cédait pas.

 

Les jumeaux avaient maintenant 16 ans. À leur anniversaire, leur père leur avait donné chacun un couteau de poche en leur disant : « Vous êtes des hommes maintenant. » Alpha avait rétorqué : « Le père, ce sera bientôt notre tour de s’occuper de la ferme. » Monsieur Chou fit semblant de ne pas avoir entendu, mais madame Chouette était inquiète. Elle raconta cet incident à ma mère et lui demanda conseil. Ma mère ne répondit pas. La volubile dame enchaîna :

– Mes jumeaux couchent encore dans le même lit. Je voudrais qu’ils aient chacun un demi lit, mais ils m’ont envoyé promener. Bien plus, ils m’ont ordonné de ne plus entrer dans leur chambre.

 

L’occasion était belle pour ma mère de répondre : « Ce que les jumeaux veulent, Dieu le veut. ». Mais elle s’abstint.

 

Les jumeaux décidèrent que désormais ce serait eux qui iraient porter les bidons de crème à la beurrerie et qu’en fin de mois ils récolteraient l’argent. Le père était estomaqué et il accepta de mauvais gré. Madame Chouette raconta ce fait à ma mère :

– Nous n’avons plus d’argent. Je suis obligée de demander aux jumeaux des sous pour acheter des crayons, du papier ou encore du sucre et de la farine.

 

Depuis toujours, madame Chouette avait pris la gouverne des travaux de la terre. C’est elle qui disait à son mari : « Aujourd’hui, tu vas labourer tel champ. Aujourd’hui, tu vas réparer ta faucheuse. Aujourd’hui, tu vas faucher le foin en arrière de la grange. » Peu à peu, les jumeaux contredisaient leur mère à ce sujet et ordonnaient à leur père ce qui leur semblait le plus approprié. Monsieur Chou baissait la tête et faisait ce que les jumeaux voulaient.

 

Lorsque les jumeaux eurent 18 ans, ils dirent à leur père : « Nous sommes maintenant capables d’effectuer tous les travaux de la terre. Si on a besoin d’aide, on te le fera savoir. Tu peux te reposer. Tu as assez travaillé. Tu pourras cependant continuer à traire les vaches et à soigner tes chevaux. »

 

Évidemment, madame Chouette courut chez nous pour informer ma mère de cet état de fait. Ma mère lui conseilla d’aller voir monsieur le curé :

– Pensez-vous, répondit-elle, que je vais aller consulter cet homme qui passe ses soirées chez la veuve Régnier du village.

 

Devenu oisif et découragé, monsieur Chou se mit à fréquenter la buvette du village. Avant de partir, il devait demander de l’argent à ses jumeaux. Ceux-ci lui donnaient quelques sous. Une fin d’après-midi, lors du train, monsieur Chou qui était pompette renversa sa chaudière de lait. Alpha le prit à la gorge et lui dit : « C’est fini pour vous la traite des vaches. En passant, où avez-vous pris l’argent pour boire autant aujourd’hui ? » À sa grande honte et dévasté, l’homme dut admettre qu’il avait fouillé dans la tirelire de ses filles.

 

Il lui restait seulement à s’occuper des chevaux. Les jumeaux décidèrent d’acheter un tracteur. Ils vendirent un cheval. Un peu plus tard, ils firent d’acquisition d’une camionnette et se départirent de l’autre cheval.

 

Madame Chouette raconta à ma mère que son mari était dépressif. Alors, ma mère lui dit :

– J’ai un beau-frère au rang 2 qui, de temps à autre, a besoin de main d’œuvre. Je pourrais lui en parler pour qu’il embauche votre mari.

 

C’est ainsi que monsieur Chou devint un auxiliaire très apprécié de mon oncle. Il mettait plus d’énergie à son travail que jamais il ne l’avait fait sur sa terre. Les après-midis quand il était libre, il allait à la buvette … avec ses propres sous. Il consommait avec modération.

 

Pendant ce temps, les jumeaux prirent l’habitude de venir veiller chez nous. Ils semblaient s’intéresser à deux de mes sœurs qui étaient à peu près du même âge qu’eux. Un jour, madame Chouette rayonnante lança en regardant ma mère dans les yeux : « Ce serait tellement beau que mes jumeaux marient vos deux filles. Vous ne savez pas, madame Jean, comment nous admirons votre famille. Je serais tellement fière que vous deveniez la belle-mère de mes admirables jumeaux. »

 

Quand les jumeaux eurent 21 ans, Alpha annonça à son père une nouvelle surprenante : « Le père, dit-il, demain je vais chez le notaire avec Oméga et vous nous accompagnez. Nous allons signer deux contrats : un de vente et un autre d’achat. »

 

Alpha regarda Oméga avec un œil complice, tandis que leurs parents, la tête baissée, fixaient le plancher. Chacun de leur côté, ils pensaient : « Notre vie est finie. »

 

Alpha continua : 

– Le père, vous nous vendez la terre et tout l’attirail pour 1 $. En retour, moi et mon jumeau, nous allons acheter la buvette. Vous pourrez habiter dans la maison attenante avec mes sœurs. Nous allons vous confier la gérance du commerce à la condition que jamais vous ne preniez une goutte de boisson à cet endroit.

– Quel beau cadeau !, s’écria le père Chou. Comptez sur moi pour tenir ma promesse.

 

Les jumeaux continuèrent sans entrain de venir voir mes sœurs. Mon père qui jugeait odieux le comportement des jumeaux envers leurs parents craignait que ceux-ci éventuellement traitent mes sœurs de la même façon. Un soir, mon père dit aux jumeaux : « J’ai l’intention de vendre ma terre et de prendre ma retraite. J’ai fait des démarches pour acheter une maison au village. Il y en a une seule à vendre. Elle est voisine de la buvette. Je pense qu’à l’avenir vous serez trop loin pour visiter mes filles. » Ce que personne ne savait, les jumeaux avaient fait un pacte secret de ne jamais se marier.

 

Le double message fut reçu avec bonheur par les deux jumeaux. Ils se firent un clin d’œil. Alpha reprit : « Votre terre nous intéresse. Nous viendrons vous voir demain à ce sujet. »

 

Les jumeaux achetèrent la ferme de mon père. Nous avons alors déménagé au village à ma grande satisfaction. Madame Chouette qui était de nouveau notre voisine continuait de venir visiter ma mère, plus souvent maintenant. Elle s’inquiétait de ce que les jumeaux couchaient encore dans le même lit, même si la maison comportait cinq chambres. Les affaires de monsieur Chou allaient bien et il ne buvait plus.

 

Deux ans plus tard, ce fut la catastrophe. Le tracteur qu’Alpha conduisait se renversa dans une côte de fortune aménagée autrefois par mon père à force de bras. Alpha décéda sur le coup. Oméga était dans tous ses états. Il vendit les deux terres et la buvette. Il alla étudier au Séminaire des vocations tardives à Montréal. Vu son âge, il fit son cours classique en cinq ans au lieu de huit. Il fut ordonné prêtre au grand plaisir de sa mère et, après un an d’études à Rome, il fut nommé professeur de philosophie au Séminaire diocésain.

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# 2715              31 mars 2016

Un dangereux personnage

Télesphore Sapin était un chasseur invétéré. Il aimait passionnément se placer à l’affût du gros gibier. Avec son fusil de chasse bien astiqué, il faisait mouche plus souvent que tout autre. Toutefois, Télesphore était particulièrement imprudent. Il laissait son fusil dans la garde-robe de la cuisine et les munitions sur la tablette du haut.

 

Son fils ainé, Arsène, à partir de 10 ans, n’hésitait pas à prendre le fusil. Il s’amusait alors à remplir et à vider le chargeur. Il lui arrivait même de pointer l’arme vers ses jeunes frères et sœurs qui en étaient atterrés. La mère, craintive, intervenait. Le jeune garçon cessait ses activités. Le père en était informé, mais il ne faisait rien pour remédier à la situation.

 

En aucun moment, quand les deux allaient chasser, Télesphore ne donnait de conseils de sécurité à son jeune fils. Un jour, une balle ricocha sur une roche et atteignit le jeune Arsène à un pied. Heureusement, l’accident ne causa que des écorchures mineures.

 

À 20 ans, Arsène épousa la fille du troisième voisin, Élisabeth. Il passait son temps à parler de chasse et à raconter des aventures qu’il avait lues dans des journaux et qu’il faisait siennes. Élisabeth fermait ses oreilles, sachant très bien que ce n’était que du verbiage. Arsène hérita du fusil de son père et s’acheta, en plus, un pistolet.

 

Avec le temps, la passion d’Arsène pour les armes à feu se transforma en maladie. Quand les enfants passaient devant chez lui pour aller à l’école du rang, derrière la vitre de la maison familiale, il pointait son pistolet vers eux. Les premières fois, les enfants ne réalisaient pas que c’était une arme, mais quand ils apprirent de la bouche des enfants d’Arsène que c’en était vraiment une et qu’en plus elle était chargée, ils se mirent à avoir peur.

 

La famille Beauregard demeurait à l’est de la maison d’Arsène. Les quatre enfants qui allaient à l’école devaient passer devant la maison maudite. Excédé par le manège du dangereux chasseur, un jour, Émile l’ainé dit à sa mère :

– Maman, je ne veux plus aller à l’école.

– Pourquoi, demanda la mère ?

– Monsieur Arsène veut nous tuer. Il pointe son arme vers nous quand nous passons devant sa maison.

– C’est bien vrai ce que tu dis ?

– Demandez aux autres.

– Si c’est vrai ce que tu dis, monsieur Arsène est un imbécile. De toute façon, dites-vous qu’il ne peut pas tirer à travers la fenêtre de son domicile. Je vous conseille de ne pas regarder vers sa maison quand vous passez. Ne courez pas. Agissez comme si vous n’aviez pas peur. Autrement, ce serait lui donner un trop grand plaisir.

 

Le lendemain, à l’école, Émile dit à un garçon d’Arsène :

– Ton père est un imbécile.

– Qui t’a dit cela ? Répète, rétorqua le jeune garçon, et j’en parle à mon père.

– Ton père est un imbécile. C’est ma mère qui l’a dit.

 

Deux clans se formèrent : d’un côté les enfants d’Arsène et leurs cousins de l’autre bout du rang, de l’autre côté les enfants Beauregard et leurs amis. La bagarre éclata. L’institutrice, prise au dépourvu, eut de la difficulté à séparer les belligérants. Elle annonça une punition collective : une retenue de 30 minutes pour tous après la classe.

 

Les parents inquiets de ne pas voir revenir leurs enfants attendirent avec impatience leur retour. Quand cela se fit, ils questionnèrent les écoliers. Ceux-ci ne purent que leur dire la raison. Jusqu’à ce jour, sauf les parents Beauregard, personne n’avait été mis au courant des agissements bizarres d’Arsène.

 

Furieux, le père Beauregard se dirigea vers la maison de l’homme qui jouait avec les armes. Après avoir cogné à la porte, il entra. Arsène était devant lui, son fusil de chasse pointé dans sa direction. Le visiteur rebroussa chemin sans avoir eu le temps de dire un mot.

 

Il alla voir le commissaire d’école qui était son voisin mais qui n’avait plus d’enfant d’âge scolaire. Sur les entrefaites, l’institutrice arriva. Les trois se voyaient dépasser par les événements. Que faire ? Après une discussion animée, le commissaire décida de fermer l’école pour le reste de la semaine, se disant que cette pause permettra peut-être de calmer les esprits.

 

Le lundi suivant, Arsène attendait les enfants Beauregard debout sur la galerie l’arme à la main. Les enfants eurent le réflexe de courir, mais le conseil de leur mère leur revint à l’esprit. C’en était trop toutefois. Quand l’institutrice apprit ce qui s’était passé, elle fit demander au voisin de l’école d’aller avertir le père Beauregard de venir chercher ses enfants après la classe.

 

Monsieur Beauregard était inquiet pour la sécurité de ses enfants. Il alla voir le curé pour que celui-ci intervienne. « Comptez sur moi, conclut le prêtre. » Le dimanche suivant, le bedeau informa Arsène qu’il devait se présenter au presbytère. Tout en maugréant, l’homme aux armes s’y rendit :

– Que puis-je faire, monsieur le curé, lança-t-il d’un ton arrogant ?

– J’ai appris, de répliquer le curé, que tu faisais peur aux enfants avec une arme.

– C’est totalement faux. Il m’arrive de nettoyer mon arme sur le perron, mais pas plus. Avez-vous une arme, monsieur le curé ?

– Je n’en ai pas besoin. Je ne suis pas chasseur.

– Si j’étais à votre place, je m’en procurerais une. Lorsque vous faites le sermon et que des hommes dorment, vous devriez sortir une arme et leur tirer une balle entre les deux yeux. Ils se réveilleraient, pas à peu près.

 

Le curé était estomaqué. Comment un homme sain d’esprit pouvait-il tenir de tels propos dans son presbytère ? Il fit semblant de ne pas être impressionné et il répliqua :

– Très bien Arsène. Je compte sur toi pour ne plus utiliser ton arme devant les enfants.

 

Prestement, le curé se dirigea chez le maire.

– Monsieur le maire, nous avons un problème. Arsène Sapin est en train de déraper.

 

Il raconta la conversation au maire qui n’en croyait pas ses oreilles. Le premier magistrat lui promit d’aller faire une visite à cet homme au début de la semaine.

 

Le lendemain, par une belle journée ensoleillée, le maire se rendit au domicile d’Arsène. Il était accompagné d’un conseiller municipal au cas où la situation dégénère. Il cogna timidement à la porte. L’épouse d’Arsène vint ouvrir avec le fusil dans les mains. Le maire eut un mouvement de recul.

– Ne craignez pas, monsieur le maire, je veux vous donner le fusil de mon mari. J’ai peur pour moi et pour mes enfants. Mon mari est aux champs et les enfants sont allés aux fraises.

– Est-ce que votre mari est parfois violent avec vous, de rétorquer le maire ?

– Il ne lève jamais la main sur moi, mais il lui arrive de battre les enfants quand ils sont turbulents. Quand il boit, il met son pistolet entre les deux jambes. D’une main, il tient sa pipe et de l’autre, son flash de whisky. Je ne sais plus quoi faire et j’ai peur.

– Je ne peux pas prendre le fusil. Ce serait trop dangereux pour vous quand il le saurait.

– Je vais vous donner alors les munitions.

– Imaginez ce qui se produirait quand il apprendrait cela. N’a-t-il pas une autre arme ?

– Oui, mais depuis qu’il est allé voir le curé, il la traîne avec lui.

– Ne dites pas un mot de ma visite à votre mari. Je vais tenter des démarches. Comptez sur moi.

 

Quand le maire sortit de la maison, il était blême et ses jambes tremblotaient. « L’heure est grave, dit-il au conseiller qui l’accompagnait. » Rendu chez lui, le premier magistrat appela le chef de police du comté et lui raconta l’histoire.

– Nous ne pouvons rien faire. Les enfants visés sont mineurs, n’est-ce pas ? Leur témoignage serait peu crédible. La dame ne peut pas témoigner contre son mari. C’est la loi.

– Arsène a pointé son arme vers un homme du rang.

– Si ce dernier est prêt à témoigner, alors on peut faire quelque chose. Allez rencontrer ce monsieur et rappelez-moi.

 

Quand le chef de police eut la confirmation que monsieur Beauregard était prêt à témoigner, il promit au maire de faire intervenir les policiers.

– Pas un mot à personne, dit-il, la situation peut être explosive. Au préalable, un policier va aller vous rencontrer pour établir un plan devant aboutir à l’arrestation de l’homme armé.

 

Chaque premier dimanche du mois, Arsène et sa famille se rendaient à l’église pour la confession vers 8 heures. Après avoir communié, la famille allait déjeuner chez les beaux-parents d’Arsène qui demeuraient tout près de l’église. À cette époque, dans les années 1940, il fallait être à jeun pour communier. Les enfants déjeunaient chez le beau-frère d’Arsène dans le logement attenant. Deux policiers étaient cachés dans une chambre de ce dernier logement.

 

Comme il était convenu, vers 9 heures, l’ainé de la famille Sapin que son père chouchoutait passa dans la pièce voisine. Il dit à l’oreille de son paternel : « Papa, peux-tu me prêter ton pistolet ? Je veux le montrer à mes cousins. » Sans aucune méfiance, le père accepta. Le jeune garçon remit l’arme aux policiers. Ceux-ci procédèrent alors à l’arrestation du père.

 

Au bout de deux semaines, le procès eut lieu. Le curé, le maire et monsieur Beauregard furent assignés comme témoins. L’avocat de l’accusé plaida que les faits racontés étaient amplifiés et qu’Arsène Sapin était un excellent citoyen. Finalement, le juge statua :

– Monsieur Sapin, je vous condamne à séjourner à l’asile psychiatrique pour le reste de vos jours. Vous êtes un danger public. Avez-vous quelque chose à dire ?

 

Se levant de son siège, l’air perdu, l’accusé tonna d’une voix hargneuse : 

– Son honneur le juge, sauf votre respect, je n’ai rien fait de mal. Mais, j’aurais dû. Quand Beauregard est venu me voir, j’aurais dû tirer sur lui. Je le regrette.

– Emmenez-le, de rétorquer le juge.

 

On ne vit plus jamais ce dangereux personnage dans la paroisse.

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# 2670              9 mars 2016

Une montre en or

Léonard naquit en 1918, l’année de l’épidémie de la grippe espagnole. Son père, un riche cultivateur, en plus d’entretenir sa ferme avec succès, possédait un poulailler pouvant contenir une centaine de poules.

Dès son jeune âge, Léonard assista son père dans la production et la vente d’œufs. Il avait imaginé une stratégie de vente originale. Dans chaque douzaine d’œufs, il dessinait un cœur sur une des coquilles. Les ménagères étaient touchées par cette attention et en redemandaient.

 

Lors d’une visite de distribution à domicile, alors qu’il avait 20 ans, Léonard remarqua qu’une jeune fille du nom de Laurette était en pamoison devant lui. Il fit semblant de ne pas porter attention, mais son cœur était troublé. Il n’aimait pas particulièrement cette fille, mais il se disait : « Il faut que je me marie un jour. »

 

Plutôt pour se distraire, Léonard décida de jouer le jeu de la séduction. Quand il livrait une douzaine d’œufs à cette maison, il avait pris soin de dessiner un cœur sur chaque coquille. La mère qui avait été témoin des extases de sa fille devant ce jeune homme comprit à qui s’adressait le message.

 

Après 10 mois de fréquentation, Léonard accepta sans conviction d’épouser Laurette. Ils se rendirent au presbytère pour mettre les bans. Hélas ! le curé était en convalescence suite à une crise cardiaque. Il leur dit :

- Mon médecin me permet de faire du bureau, mais il m’interdit de célébrer des cérémonies. C’est l’abbé Gosselin, le curé de la paroisse voisine, qui devra vous marier. Pour éviter trop de déplacements, mon confrère préfère des mariages doubles. Un mariage pour le samedi 8 mai à 7 heures du matin est déjà prévu. Accepteriez-vous de vous marier en même temps que l’autre couple ?

 

Laurette était déçue, elle qui avait rêvé d’un mariage où elle serait la reine. De son côté, Léonard n’y voyait pas d’objection. Sans le dire, il en était heureux.

- Voilà, poursuivit le curé, l’autre couple est Robert Després et Rosalie Binette. Robert demeure au rang 3. Je pense que son père va lui léguer sa terre.

- Cela tombe bien, reprit Léonard d’un air narquois. Mon père m’a acheté la terre en face du père de Robert. Vous le savez comme moi, monsieur le curé, le rang 3 est un rang double.

 

C’est ainsi que le 8 mai au matin les familles des deux couples s’entassèrent dans la petite église paroissiale. Léonard fut frappé par l’élégance et la bonhommie de Rosalie. Pendant la cérémonie, il se tournait constamment vers elle pour la regarder. Sa promise Laurette voyait le manège, mais n’y portait pas attention. Robert, d’un caractère possessif et jaloux, fulminait. Il se disait : « Dans quoi me suis-je embarqué ? Cet homme sera en plus mon voisin d’en face. »

 

Après la cérémonie, chaque couple gagna le domicile des parents de la mariée où un déjeuner était prévu. Dans sa maison décorée de fleurs, après l’entrée aux pamplemousses, le riche père de Léonard prit la parole : « Le départ de mon fils m’est douloureux. Je tiens toutefois à lui remettre une montre en or pour les nombreux services qu’il m’a rendus. Plutôt que d’agrandir mon poulailler, je lui promets d’en bâtir un sur sa terre. » À partir de ce jour, Laurette taquinait parfois son mari en l’appelant Léonard, la montre en or.

 

De son côté, le père de Robert annonça qu’en raison de ses rhumatismes il avait légué sa terre à son fils et qu’il s’achèterait une maison au village. Ce cadeau avait un goût amer, car la terre produisait peu et les bâtisses étaient près de l’abandon. Toutefois, Robert rêvait de rendre la terre plus prospère et d’avoir plusieurs enfants.

 

Au bout de trois ans, chaque couple avait déjà deux enfants. Robert surveillait constamment son voisin d’en face qui, à son goût, venait trop souvent faire un tour à la maison. Cela se produisait surtout lorsque la femme de Léonard allait passait deux ou trois jours chez ses parents. Elle le faisait au moins une fois par mois. De plus, quand Robert voyait le beau poulailler neuf en face de chez lui, il éprouvait une sensation profonde de jalousie.

 

Un soir, Robert dit à sa femme : « Je vais être obligé d’aller dans les chantiers cet hiver. Si je veux me bâtir une nouvelle grange, je n’ai pas le choix. » Rosalie répliqua : « Comme tu veux mon mari. » Devant l’indifférence de sa femme, la colère lui darda le cœur et s’incrusta dans sa tête. Il réprima cette émotion et dit : « Je vais faire boire mes chevaux. »

 

Le lendemain matin, Léonard se rendit au poulailler comme d’habitude. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que tous les œufs sauf un avaient été fracassés. Sur celui qui avait survécu, on avait dessiné un cœur surmonté d’une flèche. Léonard fit une enquête dans le rang. Personne n’avait remarqué quelque chose de spécial.

 

Comme prévu, au début de novembre, Robert partit pour les chantiers avec son cousin du rang 6. Il écrivait souvent à sa femme, la priant de lui raconter ses allées et venues dans les moindres détails. Quand il revint à la mi-avril, ses faibles émoluments lui permirent d’entreprendre la construction d’une grange.

 

Avec les travaux habituels sur la terre et la réalisation de son projet, l’été passa rapidement. Rosalie lui annonça qu’elle serait mère à nouveau. Le cœur rempli d’espoir, il repartit pour les chantiers au début de novembre. Deux mois plus tard, il reçut une lettre de sa femme lui disant qu’un garçon était né le 2 janvier et qu’il ressemblait à un frère à elle. Robert fit le calcul. S’il était le père, la grossesse avait duré au plus huit mois.

 

De retour chez lui, Robert remarqua que le fiston avait des traits du voisin d’en face. Il ne dit pas un mot, préférant mijoter une revanche. Il pensait qu’il pourrait aller de nouveau saccager le poulailler de ce voisin, mais il voulait mieux. Quand il vit Laurette partir pour aller passer trois jours chez ses parents, il dit à sa femme : « Mon cousin, partenaire des chantiers, a besoin de moi pour des réparations à un hangar. Je reviens dans deux jours. » La réponse a été : « Comme tu veux mon mari. » Une bouffée de chaleur monta au cœur de Robert, mais il réprima sa colère en disant : « Occupe-toi bien des enfants et seulement d’eux. »

 

Pendant la nuit suivante, Robert se leva et attela le cheval de son cousin. Il se dirigea vers son domicile. Il entra dans la maison et vit la veste de Léonard étendue sur une chaise. Il s’approcha de la chambre à coucher. Il y entendit des gémissements. Il vit la montre en or de Léonard sur la table de cuisine. Sans réfléchir et criblé de jalousie, il s’empara de la montre et retourna chez son cousin, ni vu ni connu.

 

Quelques jours plus tard, Léonard reçut une lettre dont le timbre avait été oblitéré dans la paroisse voisine :

« Mon cher Léonard, je connais celui qui a volé ta montre. Si tu veux la ravoir, tu dois aller chez la famille Paul Toupet qui est très pauvre. Tu dois leur remettre 20 $ et une douzaine d’œufs. » C’était signé : « Un qui veut ton bien. » En réalité, Robert était trop fier pour se permettre de toucher un sou par chantage.

 

Laurette, la femme de Léonard, était stupéfaite. Son mari lui avait toujours dit qu’il avait égaré sa montre et qu’il pensait qu’elle était quelque part dans la tasserie de la grange. Léonard n’eut d’autre choix que de tout raconter à sa femme qui était en furie. Il passa un mauvais quart d’heure. « Je te le dis, Léonard, si l’Église ne le défendait pas, je divorcerais et je retournerais chez mes parents avec les enfants. » Léonard ne voulait pas obéir aux demandes de la missive, mais sa femme l’y obligea.

 

Toutefois, Léonard se demandait ce que l’inconnu avait voulu dire en écrivant qu’il voulait son bien. Il était très inquiet. Il pensait soupçonner son voisin d’en face, mais il n’avait aucune preuve.

 

Presqu’à chaque année, une lettre identique arrivait chez Léonard. À chaque fois, sa femme ressentait un coup de poignard dans la poitrine. Mais, elle l’obligeait à payer. « Tu as péché, disait-elle. Tu dois expier ta faute. » Léonard était de plus en plus anxieux et pensa informer la police, mais il n’en fit rien, craignant que toute la paroisse et surtout ses parents le sachent.

 

Un après-midi de février, alors que Léonard déneigeait sa cour, un fils de Robert s’amusait à creuser un tunnel sous un immense banc de neige. Tout à coup, la neige s’effondra, ensevelissant le garçon. Léonard se précipita et sauva la vie du jeune. Robert qui était dans les chantiers apprit la nouvelle par une lettre de sa femme. Il regretta son harcèlement et prit la résolution de remettre la montre. « Je pense, se disait-il, que Léonard a assez payé pour avoir abusé de ma femme. À mon retour chez moi, je vais placer sa montre dans sa boîte aux lettres ou encore dans le poulailler. »

 

Quelques jours plus tard, un autre fils de Robert trouva une boite cachée sous une corde de bois de chauffage dans le hangar. Il l’apporta à sa mère. Celle-ci l’ouvrit et trouva une montre en or qui était bien celle de Léonard. Elle ne savait pas quoi faire. Elle comprit que, depuis ce temps, son mari savait tout de l’affaire. Quelques jours plus tard, elle alla apporter la montre à son propriétaire. Celui-ci était heureux d’avoir retrouvé son précieux souvenir, mais était hanté par sa conduite d’infidélité. « Mon calvaire est fini, se dit-il, mais je devrai vivre en voyant cet homme tous les jours. »

 

Quand Robert revint des chantiers, il fut mis au courant de la trouvaille par sa femme. Il n’osait plus la regarder dans les yeux. Celle-ci s’excusa de son comportement et lui promit de ne plus jamais le tromper.

 

Après mûre réflexion et sur les conseils de sa femme, Robert décida de pardonner à son ancien rival. Ils se réconcilièrent et eurent par la suite des relations plutôt cordiales, même si Robert continuait d’avoir un œil ouvert sur cet homme et … sur sa propre femme.

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# 2620              11 février 2016

Le veau aux yeux dorés

Josaphat Hibou était cultivateur dans le rang 3. Il avait déjà quatre enfants. Un dimanche de Pâques, il se rendit à la messe en voiture en cheval comme d’habitude. Avant de partir, il dit à sa femme :

- Surveille la Caillette, elle devrait vêler aujourd’hui.

 

Lors de son retour à la maison, sa femme qui était à l’étable accourut et dit à son mari :

- Viens vite, la Caillette est en train de mettre bas.

 

Josaphat se rendit prestement à l’étable. Un jeune veau aux yeux dorés fit son apparition. Le fermier était surpris de voir un veau avec de tels yeux. Il regardait avec stupéfaction le jeune phénomène. Aussitôt que le veau put se tenir sur ses quatre pattes, ses yeux tournèrent au rouge et il se précipita sur Josaphat. Ce dernier n’ayant pas prévu l’attaque s’affaissa sur le plancher. Son bel habit de noces, sa chemise blanche, sa cravate et même ses bottes dégoulinaient de fumier de vache.

 

Furieux, il entra à la maison. Antoine, son fils ainé de 12 ans, lui dit :

- Mais que s’est-il passé, papa ?

- Ce veau est un sauvage, reprit le père. Il ne fera pas long feu dans l’étable. Je vais le tuer.

 

Dans cette famille, chaque vache appartenait symboliquement à un enfant. Or, la Caillette était la vache d’Antoine. Ce dernier reprit :

- Je vais me déchanger et je cours à l’étable.

- Fais attention, rétorqua le père. N’entre pas dans son enclos où j’ai finalement pu le placer.

 

Antoine fut étonné de la couleur des yeux du veau. Son père ne lui avait pas mentionné ce détail. Il commença par l’amadouer. Le veau semblait serein. Le jeune garçon finit par entrer dans le clos et se mit à le flatter. Il ressentait à son égard une attirance indescriptible. Le veau le regardait avec ses yeux dorés empreints de douceur.

 

Les jours passèrent. Le jeune veau qu’Antoine avait baptisé Yeux dorés semblait de plus en plus docile. Des voisins ayant eu vent d’un veau aux yeux hors de l’ordinaire venaient le voir. Toutefois, certains dimanches, il devenait plus agressif.

 

Un soir alors qu’il s’apprêtait à se coucher, Antoine entendit son père dire à sa mère :

- J’aurais aimé garder ce veau pour en faire un taureau pour mes vaches dans trois ans, parce que la Caillette est une de mes meilleures vaches, mais j’ai peur qu’il arrive un accident. Je vais l’engraisser pour la viande et le vendre à l’automne.

 

Vers deux heures du matin, Antoine se réveilla en sursaut. Il rêvait que son père était en train de tuer le veau en l’assommant d’un coup de masse. Il se leva et se rendit à l’étable. Il attacha une laisse au cou du veau et lui dit :

- Mon père veut te tuer. Nous allons nous sauver.

 

L’enfant partit avec le veau. Il avait à peine parcouru un kilomètre qu’un orage s’abattit dans la région. L’animal se cambra et ne voulut plus avancer. Antoine prit peur et le ramena à l’étable.

 

Quelques jours plus tard, le jeune garçon rencontra un de ses cousins qui avaient participé à l’exposition agricole du comté l’année précédente. Quand ce dernier apprit que les yeux du veau étaient dorés, il encouragea Antoine à le présenter à l’exposition.

- Je suis convaincu, lui dit-il, que les juges vont être impressionnés.

 

Antoine en parla à son père qui d’abord refusa. Mais finalement ce dernier se dit :

- On ne sait jamais. S’il gagnait, mon troupeau de vaches prendrait peut-être de la valeur.

 

Enthousiaste, Antoine passait tous ses temps libres à brosser son jeune ami. Il coupait les poils qui dépassaient avec les ciseaux de couture de sa mère. Il disait autour de lui :

- Yeux dorés est formidable. Il est mon meilleur ami. Ses yeux bougent et changent de couleur quand je lui parle. Je suis capable d’y lire ce qu’il pense. Je pourrais dire qu’il parle.

 

Le jour de l’exposition arriva. Trois juges examinèrent les veaux attachés à un carcan et prirent des notes. Tous les exposants furent convoqués dans une grande salle qui servait de colisée pendant l’hiver. Le juge en chef, entouré de ses deux acolytes, prit la parole. Il annonça la médaille de bronze pour un premier veau, puis il dit :

- La médaille d’argent revient à Yeux dorés, le veau d’Antoine Hibou.

 

Antoine laissa tomber la laisse de son veau et se mit à applaudir, tout heureux que son protégé ait été choisi. L’animal partit en trombe et fonça sur un des deux autres juges. Ce dernier s’affaissa sur le sol. Le juge en chef, choqué par la scène, prit la parole :

- Ce prix est annulé. On ne peut pas récompenser des animaux agressifs.

 

Antoine revint chez lui tout penaud. Son père voulait bien l’encourager, mais il se souvenait d’avoir lui aussi été attaqué, mais personne ne le savait, sauf sa famille. Il revint à sa première idée, soit de vendre le veau pour la viande.

 

Le jeudi suivant, le journal régional titrait à la une : « Un jeune veau assaille un des juges et est disqualifié. » On y voyait notamment la photo du veau qui était accompagné d’Antoine, les larmes aux yeux. Dans l’article, le journaliste écrivait : « Un jeune veau du nom de Yeux dorés semblait mécontent d’avoir obtenu la deuxième place, au lieu de la première, lors de l’exposition agricole samedi dernier. Pour se venger, il a foncé sur le juge qu’on voit à gauche sur la photo ci-contre. On ne sait pas pourquoi il a choisi cet homme au lieu du juge en chef qui donnait les résultats. »

 

Le journaliste poursuivait en disant que le père d’Antoine avait refusé d’émettre des commentaires et que, selon certaines personnes interrogées, le veau comprenait et parlait. En effet, pourquoi le veau aurait-il boudé la médaille d’argent ? Sans doute qu’il souhaitait celle d’or pour être en harmonie avec la couleur de ses yeux.

 

Il n’en fallait pas plus pour entourer l’animal d’un certain mystère. Quand les gens de la paroisse du père Hibou lurent l’article du journal, un petit comité se forma pour dénoncer l’injustice subie par Antoine. Une pétition fut préparée pour obliger les juges à lui remettre la médaille d’argent qu’il avait gagnée. Le nombre de signataires s’éleva à 133, soit les trois quarts des chefs de famille de la paroisse. Les juges furent impressionnés et décidèrent de lui adjuger la médaille.

 

Le jeudi suivant, le journaliste annonça la nouvelle en précisant qu’on n’avait pas encore décidé quand et comment se ferait la remise de la médaille. Il disait avoir interrogé plusieurs personnes de la paroisse. Les uns lui avaient mentionné que c’était un veau normal ; d’autres n’en étaient pas sûrs parce que, selon la rumeur provenant de l’école des enfants, le veau aurait déjà agressé son propriétaire. Devant cette révélation, les juges décidèrent de suspendre l’application de leur dernière décision. Ils demandèrent à l’agronome de comté de faire enquête.

 

Entre temps, les visites se faisaient de plus en plus nombreuses à la ferme Hibou. De façon générale, le veau était calme et appréciait cet engouement pour lui. Mais, le dimanche, devant certains visiteurs, principalement des hommes, il devenait furieux. Ses yeux tournaient au rouge et il piochait de sa patte droite avant comme s’il voulait avertir qu’il était prêt à foncer.

 

Un bon dimanche, l’agronome vint visiter la ferme Hibou. Il était accompagné du journaliste qui avait lancé l’affaire. Un à un, les visiteurs pouvaient entrer dans l’étable. L’agronome prenait note de la réaction du veau, tandis que le journaliste photographiait le visiteur.

 

Quelques semaines plus tard, c’était la visite de l’inspecteur à l’école du rang. Pour l’occasion, le commissaire d’école avait invité tous les parents. La plupart se présentèrent, heureux de rencontrer l’inspecteur.

 

À 8 heures 30, l’école ouvrit ses portes. L’institutrice recevait les gens à l’entrée et demandait à ceux qui portaient une cravate de l’accrocher à la patère qui n’était pas visible de la salle de classe. À ceux qui posaient la question du pourquoi, l’institutrice répondait : « C’est une idée de l’inspecteur qui veut une rencontre moins guindée. Lui-même a décidé de ne pas porter de cravate. »

 

À 9 heures, l’inspecteur arriva dans son automobile. Il était accompagné de deux hommes qui demeurèrent dans le véhicule. Il remercia les parents d’avoir accompagné leurs enfants et commença à interroger les élèves sur divers sujets d’apprentissage. On sentait un certain stress dans la salle de classe, mais tous pensaient que c’était dû à la présence de l’inspecteur.

 

Une demi-heure plus tard, l’inspecteur demanda à l’institutrice de faire entrer les deux hommes. C’était l’agronome de comté et le juge de l’exposition qui avait été terrassé par Yeux dorés. La plupart ne connaissaient pas l’agronome, mais ils reconnaissaient le juge par la photo parue dans le journal.

 

L’inspecteur fit la présentation des deux hommes. Les parents et les enfants ne comprenaient pas trop ce qui se passait. Ils étaient bouche bée. L’institutrice qui était de connivence demeurait stoïque. Le père Hibou se leva lentement et se dirigea vers la shed à bois attenante où au fond se trouvaient les toilettes. Pendant la minute de son absence, les gens se regardaient ahuris parce que personne ne parlait. « Que se passe-t-il, pensaient-ils ? »

 

Enfin, à la surprise générale, le père d’Antoine entra dans la classe en tenant Yeux dorés en laisse. Le juge sortit d’une boîte une médaille d’argent qui pendait au bout d’une corde. Il glissa la corde autour du cou du veau. « Le jeune Antoine et son veau, dit-il, méritaient cette médaille et c’est avec plaisir que nous lui accordons. » L’anxiété des invités s’estompa. Tous les yeux se tournaient vers Antoine qui était heureux et stupéfait. Les plus émotifs pleuraient, les autres applaudissaient.

 

L’agronome de comté se leva et dit : « Mes amis, j’ai fait enquête sur ce veau. J’ai découvert qu’il avait un sens aigu de la vision. Vous ne sauriez deviner ce qui le met hors de lui. Il n’aime pas les cravates. »

 

L’assemblée fit un ha bien senti. L’inspecteur donna congé aux écoliers pour le reste de la journée. Tous s’en retournèrent en attendant la prochaine livraison du journal local, car l’agronome avait pris des photos.

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# 2565              18 janvier 2016

Un noir dans la paroisse

Célestin Leblanc fut reçu notaire en 1945. Il succéda alors à son père qui prit sa retraite. La paroisse d’environ 1500 personnes permettait de faire vivre convenablement un notaire, sans compter les clients des paroisses environnantes.

 

L’année suivante, Célestin épousa une amie d’enfance, Rachelle. Ils souhaitaient avoir au moins cinq enfants. Malheureusement, la nature ne leur fit aucun cadeau. Après trois ans de mariage, toujours pas d’enfant.

 

Lors d’un conventum de confrères au Séminaire, Célestin rencontra son meilleur ami de collège, un Père Blanc, missionnaire au Sénégal. Ils parlèrent de choses et d’autres, jusqu’à ce que Célestin lui fasse part de sa peine de ne pas pouvoir avoir d’enfants.

 

Plus tard dans la soirée, le jeune missionnaire demanda à Célestin s’il avait pensé à l’adoption.

- On en a parlé, Rachelle et moi, répondit-il, mais elle ne veut rien savoir.

- Que penserais-tu d’adopter un jeune noir ?, répliqua le missionnaire. Dans ma paroisse, il y a un orphelinat administré par les religieuses. Je pourrais arranger cela. Préfères-tu un garçon ou une fille ?

- Personnellement, je préfèrerais un garçon. Mais ma femme …

- De toute façon, parles-en à ta femme et écris-moi. Dans deux semaines, je serai de retour au Sénégal. L’année prochaine, Sœur Marie-de-la-Victoire qui est responsable de l’orphelinat vient passer un mois chez ses parents qui demeurent dans la paroisse voisine de la tienne. Elle pourrait t’apporter le poupon.

 

De retour chez lui, Célestin hésitait à en parler à sa femme. Il raconta la conversation qu’il avait eue avec son confrère, mais n’osa pas lui demander son avis, craignant un non catégorique. Intriguée, elle lança :

- Et toi, es-tu prêt à adopter un noir ?

- Je ne sais pas, répondit-il. J’ai peur de la réaction des gens de la paroisse et des problèmes pour l’enfant.

- Je trouve l’idée merveilleuse, répliqua-t-elle en se levant de son siège. Ce serait un pied de nez à faire aux bigotes de la paroisse. Moi qui a toujours rêvé de voyager, voilà que l’occasion me serait offerte de vivre un peu de dépaysement grâce à cet enfant.

 

Célestin était abasourdi. Il n’avait pas prévu une telle réaction. Il conclut en disant :

- On en reparlera plus tard.

 

Les mois passèrent. Célestin alla consulter le curé qui s’opposa à ce projet.

- Il y a des tas d’enfants à adopter ici au Québec. Je n’aime pas les mélanges de races. Cet enfant qui est probablement un descendant d’esclaves ne fera qu’affaiblir notre race.

 

Célestin fut frappé par la pauvreté des arguments du curé. Il décida d’aller de l’avant. Il écrivit une lettre à son confrère disant qu’il voulait que le projet se réalise. Dans la missive de retour, le missionnaire écrivit : « Je vais choisir un jeune noir qui naîtra en juin. Je souhaite qu’il soit d’une mère célibataire dont la classe sociale est la plus haute possible. Je vais l’ondoyer avant le voyage. Tu pourras le faire baptiser dans ta paroisse. »

 

Un beau jour de juillet, alors que le notaire était à rédiger un contrat de vente d’une terre, une religieuse se présenta avec un poupon. Le plus vieux des clients qui demeurait dans la paroisse voisine écarquilla les yeux quand il vit un enfant noir tout en pleurs. « Batince, dit-il, il est noir comme le poêle. Mais d’où vient cet enfant brûlé par le soleil ? » Rachelle qui était en train de peler les patates dans la pièce voisine se précipita. Elle eut un moment de recul, car elle n’avait jamais vu de personnes noires. La télévision n’existait pas encore. Toutefois, vite elle se ressaisit et prit l’enfant dans ses bras.

 

En quelques heures, toute la paroisse sut la nouvelle. Personne, sauf le curé et les parents des conjoints, n’avait été mis au courant. Ernestine Dumoulin, la présidente des Enfants de Marie, une célibataire endurcie, était révoltée. Elle fit une sainte colère. « Quoi ? Un enfant noir dans notre paroisse, mais c’est la décadence des mœurs. Je n’ai pas dit mon dernier mot. »

 

L’après-midi même, l’enfant fut baptisé sous le nom de Renaud Leblanc. Le curé qui n’avait pas changé d’avis faillit le noyer dans l’eau baptismale. Heureusement que la mère eut le réflexe de soulever la tête du poupon.

 

Ernestine fit une réunion spéciale des Enfants de Marie. La majorité ne voulait pas s’opposer à ce fait, soulignant que le notaire était un personnage très estimé dans la paroisse. « Je ne suis pas certaine que sa femme ait toute sa tête, de répliquer la présidente. » Seules quatre femmes célibataires parmi les 42 membres décidèrent d’appuyer Ernestine.

 

Le dimanche suivant, avant la messe, une procession de cinq Enfants de Marie partit de l’église pour se rendre à la maison du notaire. On pouvait lire sur des pancartes : « On ne veut pas de noirs ici. », « Les noirs n’ont pas d’âme. », « Notre race est trop précieuse pour la mélanger. » « Que les Sénégalais restent chez eux. »

 

Le curé qui avait vu la procession était estomaqué. Il craignait une division dans la paroisse. Lors de son sermon, il fustigea les cinq femmes qui avaient osé porter des pancartes devant l’église. Les paroissiens se tournaient vers le banc du notaire qui était vide ce jour-là. Le curé continua en parlant de Marie-Madeleine, une pécheresse qui avait été prise en flagrant délit d’adultère et qu’on voulait lapider. Jésus avait dit : « Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. Va, mais désormais, ne pèche plus. » Les paroissiens les plus instruits ne comprenaient pas qu’on ose associer la venue du jeune noir à une pécheresse.

 

Lors de son enfance, Renaud put s’amuser avec les enfants des voisins qui n’avaient aucun préjugé à son égard. Lorsqu’il commença l’école, la situation changea. On commença à l’appeler Renoir. Les religieuses qui enseignaient avaient de la difficulté à réprimer les autres enfants dont certains n’hésitaient pas à le qualifier de sale noir. Toutefois, les résultats scolaires du jeune étaient excellents : ce qui, en plus, excitait la convoitise et la jalousie.

 

Plus d’une fois, le père dut se rendre au couvent pour demander aux religieuses de faire cesser ces sarcasmes. Il semble bien que le tout se passait lors des récréations ou dans des coins obscurs de la cour d’école. Heureusement, le nouveau curé était loin de ces préjugés et il incitait les religieuses à être plus attentives.

 

Après sa septième année, Renaud fut inscrit au Séminaire. Les prêtres étaient excités à l’idée d’enseigner à un jeune noir. Toutefois, l’attitude des autres élèves à son égard n’étaient pas toujours tendre. Certains se demandaient comment il était possible qu’un jeune noir réussisse mieux qu’eux. Ils avaient en tête que les noirs étaient des esclaves.

 

Avec le temps, Renaud avait dû se former une carapace et il réussissait assez bien à prendre sa place dans sa cohorte. Comme tous les autres élèves, il n’avait jamais vu de noirs en personne : ce qu’il souhaitait ardemment.

 

Les élèves de l’école de Marine prenaient leur repas au Séminaire. Dans sa quatrième année à ce collège, quelle ne fut pas la surprise de Renaud de voir circuler un noir. Il n’en croyait pas ses yeux. Il s’organisait pour être là quand il passait. Un jour, il décida de l’aborder. L’amitié s’installa rapidement. Il allait le visiter à son école de temps à autre après avoir obtenu la permission.

 

Les prêtres du Séminaire ne voyaient pas cette amitié d’un bon œil. Ils décidèrent de restreindre ses visites à au plus une fois par mois. Renaud dont les résultats scolaires étaient excellents ne craignaient pas les autorités et se permettaient d’aller visiter son ami quand bon lui semblait.

 

Un soir, alors qu’il était à l’école de Marine avec son ami dans le coin de la cour, il lui donna un baiser sur la joue. Un surveillant qui passait par là vit la scène et informa le directeur des élèves du Séminaire. Le drame commença. Le jeune Renaud qui avait alors 16 ans fut convoqué chez le directeur. La sanction tomba : c’était le renvoi à cause d’une sortie sans permission et surtout pour une atteinte aux bonnes mœurs.

 

Les parents furent convoqués et ne réussirent pas à faire modifier le verdict. Le jeune homme revint chez lui, atterré par les événements. La présidente des Enfants de Marie qui était toujours en poste jubilait : « Je vous l’avais bien dit, on ne mêle pas les races. »

 

Le père dit à Renaud : « Je vais faire des démarches pour t’inscrire à un autre collège. Mais en attendant tu vas devoir travailler de tes bras. » Il apprit qu’un cultivateur du rang 5 avait besoin de main d’œuvre. Il offrit les services de son fils. C’est ainsi que Renaud dut s’habituer à traire les vaches et à nettoyer l’étable. Il n’en était pas heureux, mais acceptait cette condition.

 

Le père contacta plusieurs collèges des alentours. Tous refusèrent. Il se souvint qu’un de ses confrères enseignait dans un collège de Montréal. Il lui écrivit une longue lettre dans laquelle il décrivait le parcours de son fils. Ce dernier répondit en disant qu’il s’occupait de ce cas. Quelques jours plus tard, le père reçut une lettre informant que son fils était accepté dans ce collège en septembre.

 

Renaud dut reprendre son année scolaire et obtint enfin son baccalauréat. Il s’inscrivit à l’université de Montréal en notariat. Il réussit ses études avec brio et obtint sa licence de notaire.

 

Comme il était un peu gêné de revenir dans sa paroisse d’adoption, il travailla quelques années dans un bureau de notaire de la métropole. Quand son père prit sa retraite, il accepta avec plaisir de lui succéder.

 

Depuis le temps de son enfance, les mentalités avaient évolué. La majorité des habitants de la paroisse le reçurent avec joie. Renaud s’impliqua dans les organisations paroissiales et fit progresser son patelin. Même ses détracteurs d’autrefois réalisaient qu’il était un modèle pour la communauté. Il se présenta comme maire, mais sans succès. Quatre ans plus tard, il fut élu à ce poste.

 

Tous reconnaissent maintenant que la couleur de la peau n’a rien à voir avec la valeur d’une personne. Ils sont fiers de constater qu’un noir s’implique pour eux comme notaire et comme maire. 

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